Les relations franco-hongroises
conférence du 13 septembre 2025,
"Amour et désamour, la Hongrie et la France"
dans le cadre de la cérémonie en l’honneur du prince François II Rákóczi.
Première partie : Amour…
Seconde partie : Désamour…
Par André Bourachot
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Nous allons faire un grand saut dans le futur et maintenant évoquer la relation franco-hongroise après 1870 pour en arriver à cette guerre de 1914-1918 et au
Traité de Trianon qui fut si funeste à la Hongrie. Avant d’en arriver là, il faut relater quelques événements qui vont avoir une grande incidence sur ces relations.
D’abord la montée en puissance de la
Prusse sous l’égide de
Bismarck qui a la volonté de faire du royaume l’unificateur de la diversité germanique alors composée d’une quarantaine d’États souverains sous la domination de l’Autriche. Le heurt des volontés de puissance est inévitable. On ira jusqu’à la guerre et en 1866, après la
bataille de Sadowa, perdue par l’Autriche, plus rien ne peut freiner l’expansionnisme prussien.
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L’Autriche-Hongrie vers 1900 ; en rose l’Autriche, en vert la Hongrie, en jaune la Bosnie
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Puis il faut noter la naissance d’une curiosité, une double monarchie austro-hongroise. Après signature d’un acte connu sous le nom de "compromis de 1867", Autriche et Hongrie (680.000 km2) ont créé une entité nouvelle, une sorte de fédération monarchique qui recouvre pourtant bien d’autres nationalités.
Quand on parle de compromis c’est que chacune des deux monarchies a fait des concessions à l’autre. La Hongrie retrouve une certaine autonomie mais pas dans tous les domaines, ceux de la diplomatie, de la défense et des finances restent pour l’essentiel entre les mains autrichiennes. Ce qu’il faut noter c’est qu’à partir de cette date on ne parle plus que de l’Autriche-Hongrie et toute la politique menée par le nouvel ensemble sera portée aussi bien à son crédit qu’à son débit. On ne fera plus la différence.
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Les minorités ethniques de l’Autriche-Hongrie en 1910
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Enfin, troisième événement, la France va bientôt changer de régime politique et cela va avoir de profondes répercussions. En 1867, la France est gouvernée par un empereur Napoléon III. Après Sadowa, Il a cherché l’alliance de l’Autriche pour contrer la volonté de puissance allemande sans y réussir. L’Autriche, de son côté, avait tenté de revenir à une alliance avec la France contre l’hégémonie prussienne. La guerre franco-prussienne éclatera en juillet 1870 et la défaite de la France crée une situation nouvelle en Europe ; en 1871 le traité de Francfort consacre l’hégémonie prussienne en Europe continentale. Il va bouleverser définitivement les rapports de puissance en Europe ; ce qui va s’en suivre va marquer le début du vrai désamour de la France avec la Hongrie.
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La France redevient à l’automne de 1870 une République, la troisième du nom qui se veut héritière de la Révolution. Elle se fonde sur le suffrage universel, la laïcisation de la société, la lutte anticléricale, voire antireligieuse, la libération des
"peuples opprimés" et la volonté de revanche sur l’Allemagne devenue impériale. Le parti au pouvoir, le
parti radical, gouvernera la France jusqu’en 1920. Entre un tiers et la moitié des ministres radicaux sont et seront des
francs-maçons. Cette idéologie républicaine spécifique est totalement étrangère à la double monarchie, particulièrement de la Hongrie. Cette dernière, outre les attaques contre l’Église, voit dans la proclamation de la reconnaissance des peuples opprimés une menace contre tout ce qui aurait pu constituer la reconnaissance des minorités hongroises.
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Les armoiries de l’Autriche-Hongrie vers 1910 ; à gauche l’Autriche, à droite la Hongrie
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Qui plus est, la coexistence de groupes ethniques aussi différents n’a pas de sens pour un républicain français qui ne veut connaître que les
États-nations et considère l’Autriche-Hongrie comme un anachronisme quasi féodal.
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La multiplicité ethnique de la Hongrie en 1910
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Après le compromis de 1867, on ne distingue donc plus l’Autriche de la Hongrie même si ce dernier pays garde une certaine aura parmi les héritiers des révolutions de 1848. Certains rêvent encore de séparer la Hongrie de l’Autriche, cette dernière pourtant de plus en plus poussée à l’alliance avec l’Allemagne et c’est ce qui va se produire.
En 1879, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie concluent un traité, la
Duplice, garantissant une assistance militaire mutuelle en cas d’une agression de la Russie ainsi qu’une neutralité réciproque en cas d’une agression d’un autre pays européen (sous-entendu la France). L’Autriche, donc la Hongrie, va devenir au fil du temps l’ennemi d’une France qui, elle, va devenir l’alliée de la Russie. Si les sympathies nées du romantisme révolutionnaire de la gauche française avec la Hongrie subsistent, les relations diplomatiques officielles sont celles que l’on mène avec un adversaire qui peut devenir un ennemi et vous faire la guerre.
La guerre de 1914-1918
La guerre mondiale éclate en août 1914 après
l’incident de Sarajevo ; c’est la France qui déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie le 3 août, la Hongrie était plutôt réticente à la guerre.
« Elle ne peut amener que le courroux des peuples et les calamités de Dieu » déclare
István Tisza, premier ministre de Hongrie de l’époque. L’armée austro-hongroise combattra essentiellement face aux Russes et connaîtra des moments difficiles (
offensive Broussilov dans les Carpathes juin 1916). Jusqu’en 1918, les armées des deux pays ne seront que peu opposées directement.
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L’offensive de l’armée d’Orient vers les Balkans
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Il faudra attendre septembre 1918 pour que
Franchet d’Espèrey, commandant de l’armée d’Orient comportant des contingents serbes, grecs, britanniques, italiens, etc., lance une offensive à travers les Balkans visant l’Autriche-Hongrie et la capitale Vienne. Les armées austro-allemandes s’effondrent et plus rien ne peut arrêter les troupes alliées : il ne reste plus à l’adversaire qu’à demander un armistice. Je passe sur les détails ; ce sera le cas pour l’Autriche le 3 novembre et la Hongrie le 13. La Hongrie avait en effet fait sécession et proclamé la République après que l’empereur
Charles IV ait reconnu le 17 octobre 1918 le droit des peuples de la double monarchie à se constituer en nation indépendante.
Pourtant l’histoire aurait pu s’écrire autrement ! Vienne, très tôt, a essayé de se libérer de l’alliance allemande et de conclure une paix séparée. Pour de multiples raisons, que je ne peux évoquer ici, la guerre ira jusqu’au bout. Un armistice n’est pas la paix et les choses vont se compliquer dans les mois et années qui suivront.
Les traités de Saint-Germain et de Trianon
D’abord le premier de ces traités, le traité de Saint-Germain (10 septembre 1919), qui va régler le sort de l’Autriche devenue pourtant
in extremis une république ce qui aurait pu amadouer le vainqueur. En fait plus personne n’accorde à l’Autriche et donc à la Hongrie la moindre considération. Elle a été un allié fidèle de
Guillaume II et s’est battue pratiquement jusqu’au bout, principalement contre ce qui avait été jusqu’en 1917 l’allié russe. Ses efforts pour arrêter la guerre souvent assez maladroits et rendus publics fin 1918 ont achevé de la déconsidérer. Fin 1917, début 1918, il était admis chez tous les membres du Comité d’études français chargé de préparer les traités de paix que la question de la disparition de l’empire des Habsbourg était tranchée.
Clemenceau, arrivé au pouvoir en septembre 1917, a eu des hésitations jusqu’au début de 1918, jusqu’au moment de la divulgation par Vienne des pourparlers de paix. Rappelons que son frère Paul avait épousé une autrichienne Sophie Szeps fille d’un magnat de la presse autrichienne. Il faisait également souvent des cures à Carlsbad et avait de très nombreuses relations dans les milieux politiques viennois grâce à Berthe, sœur de Sophie.
Quand il prend le pouvoir, il est lié par les engagements antérieurs du gouvernement français et les lobbys qui pèsent sur l’opinion publique par différents moyens, notamment une presse largement corrompue et les parlementaires radicaux. Trois entités de la double monarchie, comme nous allons le voir ont déjà plus ou moins fait sécession du royaume et se sont engagés, plus ou moins vigoureusement aux côtés de
l’Entente.
La première, est la Tchécoslovaquie, qui avait un lourd contentieux avec l’Autriche. Deux hommes politiques tchèques,
Tomáš Masaryk et
Edvard Beneš, se font les colporteurs du nationalisme tchécoslovaque auprès des réseaux maçonniques européens et américains et présentent à leurs interlocuteurs plusieurs plans de démembrement de la double monarchie. Se sont créées des légions tchécoslovaques qui vont combattre aux côtés de l’Entente, en France notamment, et il n’est pas question de ne pas les récompenser pour leur engagement (un conseil national tchécoslovaque est créé en France en mai 1918).
La deuxième est l’agitation récurrente serbo-croate. Sous le dynamisme de la Serbie (pour laquelle indirectement la France était entrée en guerre et qu’elle avait sauvé de la disparition en 1915), Serbes, Croates, Slovènes aspirent à un avenir commun ; comment leur refuser ? Ajoutons que les promesses faites aussi aux Italiens en 1915, notamment la cession de territoires de l’autre côté de l’Adriatique sur la côte dalmate, ne simplifiaient pas les négociations.
Enfin au sud-est du pays, les Roumains lorgnent sur la Transylvanie où la moitié de la population parle le roumain et cette monarchie choisira (tardivement !) le bon camp malgré quelques hésitations et, là aussi une promesse avait été faite pour l’attirer définitivement dans le camp de l’Entente Ce qui se produira effectivement, à la fin de 1918, puisque, en rentrant dans la guerre aux côtés des Alliés, la Roumanie obtiendra "sa" Transylvanie et occupera même un temps Budapest.
Enfin, le nouvel associé (pas allié) de l’Entente, le
président Wilson déclarait le 8 janvier 1918 dans le point 10 de son fameux discours, dit des quatorze points, qui listait les buts de guerre des USA :
« Aux peuples de l’Autriche-Hongrie, dont nous désirons sauvegarder et assurer la place parmi les nations doit être accordée la plus grande latitude pour leur développement autonome », ce qui pouvait s’entendre de multiples façons mais ouvrait la porte à la sécession des minorités !
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L’encadrement militaire de la délégation hongroise à l’arrivée à Trianon.
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Une double monarchie demande un double traité de paix et à la suite de celui de Saint-Germain, celui de
Trianon (4 juin 1920) va finir le charcutage de l’Europe centrale. Ce que le traité de St Germain avait prévu doit être finalisé et c’est la Hongrie qui, par certains côtés, va payer l’essentiel de la facture puisque c’est sur son territoire que se trouvent les nationalités qui vont trouver leur indépendance. Le traité implique que la Hongrie accepte la séparation de trois
quarts de ses anciens territoires et leur union avec les États voisins qui sont appelés des États successeurs. Ainsi, son territoire est réduit de 321 000 km2 à 93 000 et sa population de 21 millions à 7,5 millions. Parmi les 12 millions d’habitants des régions détachées, 3,5 millions sont des Magyars. La moitié d’entre eux vivent à proximité des nouvelles frontières de la Hongrie. Le pays s’est réduit comme peau de chagrin ; aucune autre nation n’a été traitée avec autant de sévérité. Les cadeaux faits aux diverses nationalités l’ont été essentiellement sur son dos !
Le traité sera ratifié par l’assemblée hongroise le 13 novembre 1920 et voilà ce que déclare Charles Huszar, rapporteur du texte dans un silence solennel :
« À l’occasion de la ratification du Traité de Trianon, l’Assemblée nationale en appelle à la justice divine et à la conscience de l’humanité entière et déclare qu’elle considère le présent traité comme reposant sur des données fausses, comme injustes et contraire aux intérêts communs de l’humanité, que ce traité n’est pas le résultat d’un accord bilatéral résultant de l’examen de faits et intérêts des deux parties mais nous est imposé par une volonté unique et étrangère… et espère enfin qu’une appréciation plus juste de la situation, qui se créera quand les passions actuelles se seront calmées, préparera la voie à la réparation des injustices commises sous le nom de "traité de paix". En ma qualité de rapporteur du présent projet de loi, je suis forcé d’avouer que je ne trouve aucun argument en sa faveur. Dans l’intérêt supérieur et vital du pays, je propose pourtant à l’Assemblée de voter la ratification, cédant ainsi à la contrainte. »
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En jaune, ce qui reste de la Hongrie après le traité de Trianon
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Conclusion…
Nous terminerons ici cette évocation des traités de paix de 1919-1920. Les alliés ont raté la paix et préparé, pour des raisons essentiellement idéologiques, les prémisses de la guerre suivante, tout en meurtrissant une nation qui méritait mieux, dans le simple intérêt des vainqueurs. Qui est responsable ? Pour la France un peu l’air du temps et le poids du grand jacobin qu’était Clemenceau, mais il n’était pas seul à décider.
Lloyd George ne s’y est pas opposé, Wilson non plus. À partir du moment où le destin de l’Autriche était scellé, celui de la Hongrie l’était également.
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Clemenceau, en 1920, que les Hongrois accusent d’avoir voulu démembrer leur pays
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Les clairvoyants ont été rares ; un, en France, Jacques Bainville, a publié un livre en 1920 : Les conséquences politiques de la paix dans lequel il décrit avec une prescience étonnante les conséquences à venir des traités. On a construit des États successeurs qui n’étaient que des modèles réduits de l’Autriche-Hongrie. Voilà ce qu’il écrit :
« Quant au plan selon lequel les États ont été distribués et modelés, il suffit de jeter les yeux sur la carte de l’Europe nouvelle pour s’apercevoir qu’il n’a pu être dirigé que par l’esprit de caprice et de contradiction, ou bien au hasard des sympathies, quand ce n’était pas au hasard de discussions entre les Alliés. Tout le monde sait, par exemple, qu’après avoir déclaré qu’un État composite comme l’Autriche-Hongrie était indigne de vivre, le Conseil suprême s’est empressé de constituer, en Tchécoslovaquie, une Autriche nouvelle où se retrouvent six sur huit des nationalités dont se composait l’ancienne. Il n’y aura pas un seul poteau-frontière de l’État tchécoslovaque qui ne soit planté selon les méthodes les plus rigoureusement scientifiques. Quant à savoir combien de temps ces bornes resteront à leur place et les chances qu’elles ont d’y rester, ce n’était pas l’affaire des géomètres-arpenteurs. »
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Toute l’histoire ultérieure de la Hongrie découle de cette paix ratée, mais nous laisserons à d’autres le soin de vous la raconter.