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Société d’Histoire d’Yerres
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L’Asile Sainte-Catherine, une institution oubliée
Un regard sur l’enseignement et son développement à Yerres
Par Gilles Baumont
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Nombreux sont les Yerrois, qui, se rendant en voiture au cimetière, au pôle technique municipal ou allant se balader dans la forêt de la Grange, empruntent la rue Cambrelang. Tout en haut, à l’intersection avec la rue René Coty, le conducteur, très attentif à la circulation, a à peine le temps d’apercevoir cette parcelle très boisée, fermée par une grosse grille en fer, rouillée depuis très longtemps. Aujourd’hui, à l’état de friche sans plus aucune construction, ce lieu abrita pourtant l’institution dite
"Asile Sainte-Catherine", dont nous tentons de révéler l’histoire. L’Asile
1, mot chargé pour nous d’une connotation particulière, est bien l’ancêtre de l’école maternelle, telle que nous la connaissons. Cette recherche éclaire l’évolution de l’enseignement à Yerres, comme en France sous le régime - somme toute assez jeune - de la République, avec toutes les questions politiques et religieuses dont le
XIXe siècle est imprégné.
Extrait du "Plan du village d'Yères",
dressé en 1872 par Victor Labarre, Fonds ATGT
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Plan vers 1935 (A. Ferret, géomètre expert à Yerres)
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* Situation de l’Asile Sainte-Catherine
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Sa construction d’origine privée, le don qu’en fit à la commune le comte du Taillis, propriétaire du domaine de la Grange
2, ancien maire d’Yerres, et les personnalités qui ont joué un rôle dans cette histoire, renforcent, à eux seuls, l’intérêt de cette étude.
Les débuts connus de l’enseignement à Yerres
En 1685, par un don de huit mille livres, sont établies les sœurs de la Charité, institution d’abord orientée sur le service des malades, des convalescents et l’instruction des jeunes filles. Elles sont logées dans une maison du village d’Yerres. Le bureau de bienfaisance
3 en est l’administrateur. Au cours du temps, divers conflits existent entre eux. Le rôle du curé et celui du bureau de bienfaisance sont encore prépondérants, même si une institutrice,
Melle Lesieur est nommée en 1792. Lisons le registre du 5 février :
« Nous, maire, officiers municipaux et notables habitants assemblés au banc de l’œuvre de cette église paroissiale après que la dite assemblée a été annoncée au prône de la grand-messe le deux et aujourd’hui et en sus annoncée au son de la cloche pour recevoir sa maîtresse d’école, après avoir consulté l’assemblée, il a été délibéré qu’il serait alloué à la maîtresse d’école une somme de 380 livres pour son traitement annuel à la charge par elle de se conformer aux règlements qui sont d’enseigner les enfants de cette paroisse et à la charge par les pères et mères de reprendre les manques d’honnêteté qu’ils seraient dans le cas de commettre par leurs enfants envers la dite maîtresse d’école, de non seulement leur apprendre à lire et à écrire mais de les instruire des premiers principes de la religion, après la lecture du dit procès-verbal, Mademoiselle Anne Jeanne Lesieur a accepté la dite place et promis de la remplir avec fidélité et exactitude, et de se rendre le treize de présent et de faire l’ouverture de l’école des filles et ladite personne a accepté la présente commission et avons signé : Boursault, Maire, Lesieur, Rompeaux, curé, Cochery, procureur, etc. » Suivent les noms des membres.
Ce texte montre que les autorités envisagent avec sérieux l’organisation de l’enseignement. Les principes en sont bien établis ; il s’adresse aux filles, en associant les apprentissages de la lecture et de l’écriture à ceux des principes de la religion. Nous verrons que petit-à-petit, tous les enfants seront concernés. Nous ne savons pas si cette "école" se tient au domicile de Melle Lesieur, ni ne connaissons son statut : est-elle une religieuse ?
Vers 1800, il est noté qu’il y a deux écoles, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles, qui se tiennent probablement dans des maisons du village. Ce sont les parents qui les entretiennent. Il n’y a donc pas de bâtiments - école proprement dite - avant celui adossé à l’église, que nous décrirons dans le chapitre suivant. En 1836, une école est dirigée par Mme Féron, qui demande à la commune une allocation en faveur des enfants pauvres qui la fréquentent. Le conseil municipal refuse, arguant qu’une école de bienfaisance suffit aux besoins. On entrevoit, dès les débuts, les difficultés à organiser "l’école", selon les structures qui se mettent en place, religieuses ou laïques.
Dans la suite, les délibérations du conseil municipal au début du
XIXe siècle - le premier registre commence en 1801 - nous fournissent quelques informations :
« le 12 juin 1806, adjudication de la maison et du mobilier de la charité qui était occupée par les malades et servait à l’instruction des jeunes filles, le texte n’en précisant pas la localisation
4 ;
en mai 1810, sont attribués des prix aux élèves de l’école primaire », appellation qui semble curieuse à cette époque ; le 10 février 1822, une gratification de quarante francs est accordée à l’instituteur M. Belin.
Une délibération du conseil municipal du 11 avril 1833 détermine le salaire de l’instituteur de deux cents francs annuels, pour lequel une imposition spéciale est créée. C’est une conséquence de la loi du 20 août 1833, dite loi Guizot, instituant une école publique dans chaque commune. L’article 14 de la loi dit aussi que le conseil municipal doit fixer le taux de la rétribution mensuelle due pour chaque élève à l’instituteur communal : 1 franc pour la classe de simple lecture ; 1 franc, 50 centimes pour la classe d’écriture et de calcul, et désigne les élèves admis gratuitement à l’école communale élémentaire. Les plus jeunes ont 6 ans, les plus âgés, 10 ans. Le 11 août 1833, le conseil demande une allocation au département pour le traitement de l’instituteur. Chaque année, il établit la liste des enfants admis gratuitement à l’école et se charge de nommer l’instituteur, par exemple le 28 juin 1835.
Mais où avait donc lieu cet enseignement ? Les archives anciennes et les registres paroissiaux, depuis le XVIIe siècle, mentionnent déjà la fonction de "maître" d’école. On peut imaginer que leur enseignement avait lieu à domicile, usage qui s’est prolongé jusqu’aux début du XXe siècle, en témoignent les demandes d’autorisation d’ouvrir à domicile des « petits cours d’enfants, garçons et filles », comme celle de Melle Alice Lacroix, encore en 1927. On note aussi des demandes de création de "jardins d’enfants", établissements tous privés.
La première école ou la brève histoire d’un vieux bâtiment
L’examen des registres de la commune et de ceux de la paroisse nous apprennent l’existence d’un bâtiment attenant à l’église Saint-Honest. Sa description détaillée dans le registre de la paroisse du 6 février 1834, nous éclaire. Suite à une lettre de l’évêque, la commune doit être citée à comparaître devant le juge de paix
« afin d’y reconnaître le droit de la fabrique sur l’ancien vicariat5, qui se composait dans les bâtiments adossés à l’église : 1° d’une cave au-dessous de la salle d’école, 2° d’une grande chambre au-dessus de la dite école dans laquelle on monte par un escalier qui a son entrée sous le porche de l’église, 3° d’un grand cabinet au-dessus du porche, 4° d’un grenier dans les combles qui s’étendent sur tout le corps du bâtiment et dans lequel se trouve le cabinet d’aisance. On monte dans ledit grenier par un escalier ayant son entrée dans le cabinet sus désigné. Dans la séance du 20 février 1834, le conseil municipal considérant que les localités réclamées par la Fabrique font partie de la maison succursale et qu’en vertu du décret du 8 novembre 1810, la Fabrique est en droit d’en réclamer la propriété… » Cette affaire est donc rapidement réglée. Cependant, ce bâtiment, qu’on doit considérer comme la première école publique deviendra au cours du temps inapproprié et vétuste, et sera remplacé par la mairie-école en 1847
6, comportant, elle, une classe de garçons et une classe de filles (aujourd’hui la poste centrale). Notons que l’église a fait l’objet de travaux importants dans cette période. Sa proximité avec cette dernière porte certainement la marque d’usages ancestraux, qui plaçait l’enseignement sous l’obédience de la paroisse. Nous ne disposons d’aucun plan détaillé de ce bâtiment ; il était situé à l’extérieur et à droite de l’église, c’est-à-dire côté sud-est. Il est figuré très schématiquement sur quelques plans anciens.
Avec l’avènement de la République, jusqu’au
XXe siècle et même jusqu’à nos jours, vont cohabiter les établissements religieux - écoles dites congréganistes
7 - et les écoles publiques qui se développeront progressivement, encadrées notamment par les lois Guizot (1833) et Jules Ferry (1881/1882). Pour évoquer de plus près l’état d’esprit de cette époque, citons quelques textes et faits significatifs : le 9 novembre 1841, le maire, vicomte du Taillis, est saisi d’un dossier
« des institutrices » et adresse à M. le Préfet, une lettre qui fait mention d’un problème avec
Mme Féron, déjà citée comme dirigeant une
"école" en 1836 ; il s’agit probablement d’un conflit d’attribution avec le curé, qui concerne le catéchisme des jeunes filles. Le 15 décembre 1844, il remercie un certain M. Champion,
« le petit manteau bleu »8, qui a offert quatre croix d’encouragement pour les écoles à la demande de M. Morand, membre de la fabrique. Le maire indique que la commune donne une subvention à l’instituteur, et admet gratuitement douze enfants dans chacune de nos écoles. L’insistance du maire porte à croire qu’il agit sur les deux tableaux, tant pour les établissements religieux que pour ceux qu’on appellera laïcs. L’expression
« chacune de nos écoles » indique qu’il y a plusieurs de ces écoles, et que les garçons y sont admis.
L’application de la loi Guizot en 1833 occasionna des situations concurrentielles entre les enseignants ; cela expliquant peut-être que le conseil municipal, dans sa délibération du 29 mai 1851 prend en charge l’instruction, en décidant la « création d’une salle d’asile pour l’enfance », que l’on peut déjà considérer comme une école maternelle. Sur proposition du bureau de bienfaisance, Mme Degarne est nommée directrice de cet établissement (enfants de 3 à 6 ans). On observe que le bureau de bienfaisance est encore partie prenante dans cette création, car la loi Guizot ne concerne que les enfants âgés de 6 à 10 ans. On doit supposer que cette salle d’asile fonctionne pendant quelques années dans des locaux privés, ou bien chez Mme Degarne, avant sa construction en 1856. Les Archives ne précisent pas ces questions.
Pour rappeler le contexte de ce milieu du XIXe siècle, marqué par les grands besoins de développement, on peut noter la lettre du 15 février 1846, par laquelle le maire écrit au sous-préfet, à l’occasion de l’envoi des plans de la maison communale, et rappelant les faibles ressources financières : « notre commune populeuse, placée dans une situation extrêmement agréable, compte de nombreuses habitations bourgeoises, qui aident à l’aisance de nos habitants sans enrichir la commune proprement dite, et nous imposent les sacrifices que nous avons acceptés…Point de mairie, notre conseil se réunit dans une chambre… »(3 D 20). Suivent les demandes de subventions au ministre de l’Instruction publique, au ministre des Cultes, et au département. Ainsi a été formé le projet de la construction de la mairie-école - aujourd’hui la poste centrale - inaugurée en même temps que le presbytère le 1er novembre 1847. On note aussi que ces constructions se trouvèrent concurrencées par l’aménagement du chemin de fer (PLM), gourmand en ouvriers.
Ainsi peut être résumée la teneur des préoccupations des responsables à cette période. On en déduit facilement - comme le montre notre étude - que les autorités communales ont des positions contradictoires qui vont perdurer tout au long du siècle, quand il s’agit de donner un élan au développement de l’enseignement. La notion de laïcité demandera encore du temps pour émerger de l’influence religieuse. On serait tenté d’admettre que ces problématiques ne sont pas oubliées de nos jours…
Les débuts de l’Asile Sainte-Catherine
Alors que la commune s’attache à organiser la vie scolaire, dans le cadre de la République, dans le même temps un établissement privé va voir le jour dans des conditions particulières. En effet, le comte du Taillis (on le désigne le plus souvent par « vicomte »), est maire depuis 1841. Mais le 22 août 1858, le conseil municipal lui adresse ses remerciements - alors qu’il est maire démissionnaire pour raison de santé - pour ses bienfaits et pour la bonne gestion de la commune. Le baron Gourgaud, son gendre, lui succède (1 K 1-6). Outre les bienfaits reconnus qu’il a prodigués à la commune, en tant que maire, le vicomte du Taillis lui a fait un legs le 9 mars 1866, dont la teneur est rappelée dans les délibérations du conseil municipal, qui l’accepte le 14 avril 1871. Le testament du vicomte n’a été révélé qu’après sa mort en 1870, ce qui explique l’éloignement des deux dates :
« acceptation du legs de l’Asile Sainte-Catherine et du terrain y attenant, d’une somme aux pauvres, d’une somme pour l’entretien et l’embellissement de la Place du Taillis à condition que cette place conserve son nom. » Ce legs est aussi cité lors de la délibération du
1er octobre 1871, l’occupation allemande ayant empêché toute tenue des affaires municipales pendant une année entière. Les termes en sont :
« Je lègue à la commune d’Yerres la salle d’Asile que j’y ai fait construire, ainsi que le petit champ y attenant, sous la condition expresse que l’Asile ne cessera pas de porter le nom de Sainte-Catherine… » Suivent différentes donations en argent…
« Je nomme pour mon exécuteur testamentaire, Napoléon, Hélène, Baron Gourgaud mon gendre. » Les recherches aux Archives nous apprennent que le vicomte du Taillis a acheté en 1852, et à titre privé, deux parcelles au pas d’Âne, précisément celles où il fera construire l’Asile Sainte-Catherine, qui rappelle le prénom de sa fille, alors que la mairie-école est déjà construite et inaugurée en 1847
6. La matrice cadastrale (1 G-47-1) donne la construction nouvelle dans la parcelle ancienne A 194 en 1856. La date de 1852 faisant suite à la décision du conseil du 29 mai 1851 de
« prendre en charge l’instruction », on se demande si l’achat et la construction, sur les deniers personnels du vicomte, de l’Asile Sainte-Catherine n’est pas la solution qu’il a trouvée pour accélérer la mise en place de l’enseignement des enfants, tandis que la commune a dû faire face aux dépenses de la nouvelle mairie-école et du presbytère les années précédentes.
Tout rentre dans « l’ordre », quand on découvre les dates du 17 août 1856 et du 23 août 1857,
« pour la distribution des prix aux enfants des écoles et de l’asile »9. On note ici encore la coexistence des établissements publics et privés, l’école dont les classes sont situées de part et d’autre de la mairie et l’Asile, qui ne peut être que l’Asile Sainte-Catherine.
Le vicomte du Taillis, en bon catholique, tenta plus d’une fois, en ce milieu de siècle, de ménager les sensibilités et tous les intérêts. Le maire se démène pour faire appliquer en matière d’école, les lois en vigueur, mais prend l’initiative de construire et de doter un établissement privé pour les besoins des plus petits. Cependant, les conditions que les du Taillis imposèrent par testament et codicilles allaient donner quelques soucis aux futurs élus, comme on le verra dans la suite. (1 D 4).
La générosité au service du bien public
Sans doute faut-il rappeler qui étaient ces familles du Taillis et Gourgaud, administrateurs et bienfaiteurs de notre village pendant plusieurs décennies. Châtelains du Domaine de la Grange, ils sont issus de familles aisées, les Boscary, agents de change. Le vicomte du Taillis est adopté par le général du Taillis (1760-1851), lieutenant des armées du roi et nommé général de brigade par Napoléon 1er. Sa fille Catherine du Taillis (1836-1915), se marie en 1857 avec Louis Marie Napoléon Hélène Gourgaud (1823-1879), fils unique du Baron Gaspard Gourgaud (1783-1832), général aide de camp de Napoléon 1er (voir Bibliographie). Ses parents étaient propriétaires de forêts et fonderies dans la région de Neuville-lez-la-Charité en Haute-Saône, où le vicomte a fait plus tard construire un château. Les Gourgaud, eux aussi, étaient fortunés.
La personne de Catherine du Taillis, dont le prénom a été donné à l’établissement construit par son père, a bien sa place au centre de cette étude. Lors de l’inauguration de la mairie et du presbytère en 1847, Catherine, âgée de onze ans, est déjà la présidente de la confrérie de la Sainte-Vierge, dont le culte est très représenté au cours de l’histoire, dans les établissements religieux d’Yerres. Catherine - baronne Gourgaud du Taillis - est restée veuve pendant 36 ans et a continué de contribuer aux œuvres sociales d’Yerres.
Ces familles disposaient de beaucoup de moyens, mais comprenons que l’argent et la finance étaient le métier de leurs ancêtres. On peut se rendre compte que leur générosité n’avait d’égale que leur richesse. On le constate en lisant les actes notariés qui concernent leurs différents dons et legs à la commune, y compris pour le fonctionnement de l’Asile Sainte-Catherine. Par exemple, le 21 mai 1868, la comtesse du Taillis est remerciée pour son offre de participer au traitement des deux sœurs devant diriger l’asile communal afin d’en rendre gratuite la fréquentation.
Quelques textes significatifs montrent que le testament fait en 1866 par le vicomte est parfaitement respecté par sa veuve après son décès en 1870 à Paris, par sa veuve Thècle Beaudelot, comtesse du Taillis. Il semble important de citer les codicilles in extenso, tant ils expliquent clairement les intentions et les difficultés à venir (1 D 4).
- 1er codicille du 26 juin 1872 :
« Lors de la grave maladie que fit ma bien aimée fille fit à Naples, et qui mit ses jours dans le plus grand danger, je fis le vœu, pour le cas où j’aurais le bonheur de la conserver, de vendre mes diamants, dont une très forte partie me provenait de cadeaux faits par mon père et de la succession de ma mère, d’en placer le prix de vente et d’en employer chaque année le revenu en œuvres charitables.
« De retour en France avec ma fille, j’ai acquis avec le prix de mes diamants, qui s’est élevé à vingt-huit mille francs, des Charbonnages Belges et de Grisoeil, dont le produit reçoit pieusement la destination première.
« Pour continuer après moi ces dispositions en partie, je donne et lègue à l’asile Sainte-Catherine, fondé et laissé par mon mari à la Commune d’Yerres, tant que cet Asile sera dirigé et tenu par des sœurs catholiques, religieuses congréganistes, et non autrement, une rente annuelle de six cents francs, payable de trois en trois mois, entre les mains de la sœur supérieure de l’Asile et sur ses simples quittances, conditions de rigueur.
« Cette rente prendra fin et sera éteinte définitivement à partir du jour où ledit Asile serait supprimé ou confié à une directrice laïque.
« Le service de cette rente sera indivisible entre tous mes héritiers et représentants par dérogation expresse à l’article 1220 du Code Napoléon.
« J’interdis formellement à l’Asile de prendre sur les biens de ma succession l’inscription de privilège autorisée par l’article 878 et 2.111 du Code Napoléon, tant que mes héritiers et représentants resteront propriétaire du Château de la Grange et dépendances, mais au cas de vente par eux de ce domaine, j’entends qu’il soit acquis par prélèvement sur le prix de vente, six cents francs de rente française, trois pour cent sur l’État, qui seront immatriculés de la manière suivante :
« L’Asile de la commune d’Yerres, canton de Boissy-St-Léger, département de Seine-et-Oise.
« Legs fait par Mme la comtesse Du Taillis, né Honorine Thècle Baudelot, révocable au profit de sa famille, au cas où la direction de l’Asile serait retirée à des sœurs catholiques, religieuses congréganistes, arrérages payables directement entre les mains de la sœur supérieure, qui restera dépositaire du titre.
« Le tout en vertu du testament olographe de Mme la comtesse du Taillis, déposé chez Me Lentagne, notaire à Paris le vingt-six juin mil neuf cent soixante-douze.
« Mes héritiers seront affranchis de ladite annuité de six cents francs, à dater du premier jour du trimestre dans le cours duquel la rente dont il s’agit aura été acquise et remise à la sœur supérieure.
« Tous les droits de mutation auxquels le legs du présent codicille donnera ouverture seront acquittés sans répartition par ma succession. »
La comtesse exprime dans ce codicille des exigences qui mettront le conseil municipal dans l’embarras, comme nous le verrons.
- 2e codicille du 17 août 1873 :
Ce codicille ne concerne qu’un legs de 1 000 francs, « pour être distribué aux pauvres de la commune par les soins de M. le curé. »
- 3e codicille du 15 juin 1874 :
« Selon le vœu que j’avais fait à Naples, j’ai vendu mes diamants et j’ai acquis avec leur produit des Charbonnages Belges et de Grisoeil, qui produisent 1250 francs d’intérêts par année.
« N’ayant fait emploi que de six cents francs pour les bonnes sœurs de l’Asile d’Yerres, je veux pour compléter mon vœu et pour que les enfants de l’Asile n’aient pas à souffrir de ma mort, léguer une somme de quatre cents francs à employer chaque année en vêtements et chaussures chaudes pour les pauvres petits enfants.
« Je lègue aussi cent francs pour être employés en beaux livres pour la distribution des prix. Je demande qu’il soit fait mention pour chacun du nom de la bienfaitrice.
« Pour compléter l’emploi du produit des 1250 francs de ce vœu, je lègue cent cinquante francs de plus aux bonnes sœurs auxquelles je faisais chaque année des petits cadeaux qui équivalaient à peu près à cette somme.
« Ces dernières dispositions seront soumises aux conditions que j’ai faites pour le cas où l’Asile passerait dans des mains laïques. »
Notons que le testament original du vicomte du Taillis porte une mention importante, non reproduite dans les codicilles :
« je lègue à la commune d’Yerres la salle d’Asile que j’y ai fait construire, ainsi que le petit champ y attenant, sous la condition expresse que l’Asile ne cessera pas de porter le nom de Catherine, etc. »
Ces textes nous apprennent que Catherine a survécu à une grave maladie, ce qui a probablement déclenché chez ses parents cet élan de générosité et la construction de cet Asile, dont l’appellation leur tenaient particulièrement à cœur.
Une autre contrainte est que l’enseignement reste religieux et soit dispensé par des sœurs, conditions suspensives de tout legs !
Le baron Gourgaud sera député de la Haute-Saône et auditeur au Conseil d’État. Sa fonction de maire à Yerres couvre les années 1858 à 1874. Il a adressé le 29 juillet 1875 une lettre au maire d’Yerres, Augustin Person, dont voici la transcription :
« La Charité par Prétigney Le 29 juillet 1875
« Haute-Saône
« Monsieur le Maire,
« Je reçois aujourd’hui seulement un extrait des délibérations du conseil municipal de la commune d’Yerres en date du 23 mai 1875 par lequel ledit conseil vote tant en son nom qu’en celui des sœurs de l’asile des pauvres de la commune des remerciements et la mémoire de la comtesse du Taillis ; puis sur le rappel que vous avez bien voulu faire du legs de la salle d’asile, fait en 1870 à la commune par mon beau-père, M. le vicomte du Taillis, le conseil sur votre proposition, décide qu’une plaque commémorative en marbre mais avec inscription en lettres d’or, les noms des bienfaiteurs sera placé sur la face extérieure de l’asile, j’ai l’honneur, Monsieur le Maire, de vous prier de vouloir bien agréer pour nous et faire agréer au conseil tous mes remerciements, ainsi que ceux de Madame la baronne Gourgaud pour les votes émis dans la séance du 29 mai dernier.
« Veuillez recevoir, Monsieur le Maire, ainsi que vos collègues du conseil municipal, la nouvelle assurance de mes sentiments très distingués.
« Signé : Baron Gourgaud, Cer Ml [conseiller municipal] »
À la suite, le devis de cette plaque figure dans le dossier, dont voici la transcription (
annexe I) :
« Devis de la Société DEWEZ (très belle enseigne en en-tête) à Paris, adressé à M. Person, maire
« le 29 juin 1875 (M. Person est domicilié 3, rue Chauchat) DOIT
« (en tout) 230 francs (transport compris par 2 ouvrières), avec l’inscription suivante :
« Les habitants de YERRES reconnaissants : M. DEWEZ : dois-je mettre une apostrophe ? *
« Les habitants d’YERRES reconnaissants ? »
En marge, le maire a signé : adopté, PAS D’OPPOSITION
* précision amusante, et qui tracasse encore aujourd’hui les yerrois, cette question, restée sans réponse définitive : doit-on prononcer et écrire d’Yerres ou bien de Yerres ? La mention en marge « Pas d’apostrophe » est claire !
Cette plaque a disparu, semble-t-il, au moment de la démolition du bâtiment dans les années 1960.
La générosité de cette famille est donc reconnue et récompensée par le conseil municipal.
Pour illustrer à nouveau leur attachement religieux, lisons le début du testament de baron Gourgaud (1823-1879), écrit le 18 février 1878 :
« Ceci est mon testament, au nom du Père et du Fils et du St-Esprit, je suis né et je veux mourir dans la religion catholique apostolique et romaine, etc. »
Matériel pédagogique
Le nouvel établissement dénommé Asile Sainte-Catherine commence donc à fonctionner dès l’année 1856.
Aucune photo des bâtiments n’ayant pu être retrouvée, on doit se contenter de descriptions, issues de plans, de rapports ou d’actes de vente, en se reportant aux documents en annexes.
Des inventaires du mobilier de l’Asile Sainte-Catherine donnent sans doute une idée des conditions générales de l’enseignement dans cette école, à ses débuts. Un document non daté
10 signé de sœur Marie Justa,
« liste du mobilier de l’asile Sainte-Catherine », décrit
« 9 bancs, 25 tableaux de lecture, 1 tableau noir et accessoire, 1 boulier numérateur, 4 cadres pour recevoir les gravures, 8 livres, 4 livres de chants, 1 casier orthographique, 36 ardoises encadrées et porte crayon, 89 gravures, 1 claquoir, 1 Christ, 1 registre des visites d’inspection », etc. Tel est sommairement le
"matériel pédagogique", à l’époque où cet établissement est tenu par des sœurs, selon le vœu des donateurs. De quoi enseigner à 36 élèves, lesquels sont certainement répartis en 2 groupes, comme l’indiquent plusieurs descriptions et plans. Nous savons en effet que l’ensemble est composé d’un bâtiment qui comporte une classe et est surmonté d’un appartement, qui constitue le logement d’une enseignante, et d’un autre bâtiment couvert pour l’usage d’une deuxième classe.
Les premiers ennuis
L’occupation des armées prussiennes et bavaroises (1870/1871) a été largement relaté par Augustin Beaumont, curé d’Yerres
11. L’Asile Sainte-Catherine, comme beaucoup de maisons privées, n’a pas échappé aux malheurs du temps.
« Le baron Gourgaud est parti avec sa famille en Angleterre. Le pauvre comte du Taillis, malade, est resté seul à son hôtel de l’avenue d’Antin. » Noté le 22 novembre 1870 :
« On dit que le vicomte du Taillis est mort à Paris. » À partir du 18 septembre 1870,
« les Prussiens se sont conduits comme de féroces barbares ou d’astucieux sauvages. À midi, on nous annonce que nous allons avoir à loger un régiment pour une nuit. Il leur faut les écoles pour y établir une compagnie. On se hâte d’enlever les bancs, les tables-pupitres, on les dépose dans la cour, on apporte de la paille pour leur coucher. Pendant ce temps, M. le curé jette par-dessus son mur le linge des sœurs et ce qu’il peut de leur literie et de leurs effets. » Et le 16 mars 1871, l’abbé Beaumont note dans son journal :
« je blâmais aussi les dégâts que les soldats faisaient dans l’asile où il leur avait plu d’établir une tuerie où ils brûlaient les parquets pour se chauffer. »
Les tracasseries
Des revirements du conseil municipal vont traduire les difficultés à
"laïciser" complétement l’enseignement. On se rappelle les conditions dans lesquelles l’Asile fut légué à la commune. Les conseillers municipaux respectueux des lois de la
3e République, furent partagés entre les respect des testaments et les évolutions inexorables des lois et règlements concernant l’enseignement. Le 13 février 1881, le conseil demande de remplacer les sœurs congréganistes par des institutrices laïques pour l’école des filles. Et le 15 mai 1881, est voté un complément de traitement aux institutrices laïques remplaçant les sœurs. La loi Goblet du 30 octobre 1886 parachève les lois Jules Ferry en confiant à un personnel exclusivement laïc l’enseignement dans les écoles publiques, remplaçant les instituteurs congréganistes. Des textes
12 du conseil municipal sont éclairants :
« Considérant que l’instruction donnée aux filles par les sœurs du Sacré-Cœur est d’une faiblesse incontestable ; que la directrice elle-même n’est pourvue d’aucun brevet et n’exerce qu’en vertu d’une lettre d’obédience ; considérant aussi que depuis qu’elles sont à Yerres, ces dames n’ont su se concilier ni la sympathie ni l’affection des élèves ; considérant enfin que la très grande majorité désire le remplacement des congréganistes par des institutrices laïques, etc… »
Le 17 juillet 1889, « l’institutrice semble avoir considéré avec beaucoup de légèreté les devoirs qu’elle a envers la commune, le conseil demande son départ de l’école. »
Il arrive qu’une institutrice, car ce n’est jamais un instituteur, ne donne pas entière satisfaction, la commune est alors très acerbe à son égard. Les délibérations ne nous renseignent pas sur les véritables fautes qu’elles ont commises. Il semblerait que la plus grosse faute est de mécontenter les familles.
Ces textes, non exempts d’une certaine hypocrisie, traduisent sans doute une sorte d’acharnement destiné à se priver des services assurés par les religieuses. Ces questions sont noyées dans la complexité des relations politiques de ce temps. Cependant, aucun procès n’a été la conséquence de ces difficultés.
Encore quelques années, et le décès de la directrice de l’Asile en 1894, va permettre aux autorités de trouver - peut-être - la solution.
La demande de création d’une école enfantine
Le 28 janvier 1894, l’école maternelle congréganiste a été supprimée, à la suite du décès de la directrice. Le 21 septembre 1895, le conseil municipal demande la création d’une école enfantine, annexée à l’école primaire publique de filles dans le local appartenant à la commune et où se trouvait installée précédemment l’école maternelle. Le conseil vote un supplément de deux cents francs pour l’adjointe chargée de la direction de cette classe et demande la création du poste pour 1896. Le conseil, répondant au préfet le 8 janvier 1896, confirme qu’il prendra l’engagement de subvenir aux frais d’entretien de l’établissement ainsi que du matériel d’enseignement, et tous autres besoins. L’inspecteur d’académie, par lettre du 21 août 1896, fait connaître que ladite création a été proposée à M. le ministre par le conseil départemental. Le 8 mai 1897, il demande au préfet de bien vouloir appuyer la demande auprès du ministre. Une lettre du 14 octobre 1897 au sous-préfet demande la solution de cette affaire. Que s’est-il donc passé entre 1894 et 1898 ? De quelle affaire s’agit-il ? Il faut sans doute deviner les discussions animées au sein de l’assemblée communale entre les partisans de la République et les défenseurs des habitudes anciennes, attachés aux traditions et à l’enseignement privé.
D’autres documents complètent ce dossier. Le 27 janvier 1894, le conseil a demandé l’autorisation de maintenir les sœurs dans leurs fonctions, à l’école maternelle, jusqu’aux vacances prochaines. Cette demande est contraire à la décision du lendemain 28 janvier de fermer l’école. Le 5 février 1894, le conseil supprime pourtant l’école maternelle et demande l’autorisation de louer à une personne charitable l’immeuble communal, à la condition que cette personne s’engage à y installer une école maternelle privée. Le 16 juin 1894, est discutée la transformation de l’école maternelle en classe enfantine, mais le conseil se prononce pour l’ajournement de la question. Le 15 novembre 1894, la question est à nouveau ajournée. Les échanges entre les conseillers municipaux ne sont pas connus, mais il est très probable qu’ils discutent sur les termes du testament initial, qui stipulent que l’Asile ne change pas de nom et surtout qu’il soit confié à des sœurs. Enfin, Le 26 juin 1895, le conseil charge le maire de faire les démarches pour être exactement renseigné sur les frais qui résulteraient pour la commune de la création d’une école enfantine. La délibération du 21 septembre 1895 en demande la création, comme on l’a vu. Le 14 janvier 1896, délibération confirmant la précédente, portant engagement de subvenir aux frais. Enfin, la délibération du 14 juin 1898 (
annexe II) vient clore plusieurs années d’atermoiements et de controverses. Il suffisait - peut-être - de changer l’appellation de l’établissement,
"d’asile" à
"classe enfantine". Catherine du Taillis est décédée en 1915, et nous ne connaissons pas de document évoquant son propre avis sur la question. Il est vrai que les lois constitutionnelles de 1875 (la
3e République) et plus tard la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, auront fait évoluer considérablement les mentalités. En 1908, a été observé une désaffection des élèves envers l’école publique, augmentant d’autant les effectifs de l’école privée qui subsiste dans la commune. L’institutrice, laïque cette fois, mise en cause, fut renvoyée…
L’évolution au XXe siècle
En 1914, un
Rapport sur l’état et les modifications de certaines parties des locaux scolaires est rédigé par M. Rieger, architecte communal. Le premier chapitre est titré
École enfantine (Asile Sainte-Catherine) (
annexe III).
Il s’agit du mobilier (tables et bancs), qui n’est pas réglementaire, ayant été rapporté de l’école du centre (celle inaugurée en 1847). Il est prévu d’installer des lavabos, et surtout de niveler les cours de récréation dont la pente est dangereuse pour les enfants. Les WC sont à réparer ; le combustible utilisé pour les deux poêles à charbon devrait être changé et des travaux sur les conduits effectués.
« Mme la directrice réclame un store pour la fenêtre de la classe. » Dans les années de la Grande Guerre, l’enseignement scolaire n’a pas été interrompu et les écoles n’ont pas subi de dommages comme en 1871, Yerres n’ayant pas été géographiquement impliqué dans le conflit. Voir en
annexe IV un extrait du plan dressé par M. Rieger
« pour les transformations diverses à faire à l’école enfantine ».
Au conseil municipal du 10 août 1922, sous le titre Travaux à exécuter à l’Asile Sainte-Catherine, des interventions sont commandées pour la réparation du parquet du préau de l’école. La même délibération cite encore l’Asile Sainte-Catherine comme devant être muni de branchements et d’un compteur pour l’approvisionnement en eau de source. Il est encore question de la réfection de la toiture du préau de l’école et de lampes électriques, « en raison de son affectation provisoire en une quatrième classe pour les jeunes enfants. » Ces détails, tout en montrant l’imprécision des termes employés, rappelle que la commune n’est pas encore prête à abandonner ses vieux locaux scolaires. La double dénomination est encore en usage en 1922. À cette séance, un élu proteste parce qu’un des membres du conseil est choisi comme entrepreneur pour ces travaux, cela entraînant une gestion de fait, situation qui serait impossible aujourd’hui…
Le 21 octobre 1934, M. Paul Lefèvre, conseiller municipal et membre de la commission des travaux, présente au maire un rapport de 7 pages. Titré
Visite de l’école enfantine - rue de Villecresnes - fissures au bâtiment, ce rapport est un modèle du genre (
annexe V). L’élu argumente en notant qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. M. Lefèvre fait aussi allusion à sa compétence professionnelle qui n’est pas précisée : peut-être est-il architecte ou entrepreneur tous corps d’état, ou même géologue, car il s’attache à chercher les causes de ces fissures dans l’état des sous-sols, la présence d’eau, la déclivité du terrain, etc.
La délibération du 17 août 1935 précise les travaux qui seront effectués, notamment l’installation du chauffage central (annexes
VI,
VII et
VIII). Denise Loubet-Prospéro, née en 1930, y a passé ses premières années, et se souvient que l’établissement était tenu par des sœurs en 1937 (sœur Emerentienne était l’une d’elles).
Pendant les années de la seconde guerre, les écoles ont continué de fonctionner sous la tutelle de la Caisse des Écoles et du Secours National, très actifs pour l’organisation des cantines et la fourniture des rations de biscuits caséinés, distribuées régulièrement à tous les élèves scolarisés, y compris dans les établissements privés. On suppose que l’école enfantine (notre ancien Asile, donc) en bénéficia. Les Archives conservent quelques-uns des bordereaux de livraison de ces denrées
13.
L’après-guerre
Le 30 mai 1948, la désaffectation de l’école maternelle a été demandée par le conseil municipal, qui n’a pas oublié les problèmes de sécurité de ce bâtiment, dont il a été question en 1934. Le rapport de René Valat, architecte, confirme le 25 mai 1948 que
« l’état de vétusté et de délabrement du bâtiment n’offrent plus les garanties indispensables de sécurité » Le 12 juillet 1948, on délibère pour autoriser son aliénation, car elle n’est plus d’aucune utilité pour la commune. En outre, cette vente permettra de diminuer le coût de la construction du groupe maternel projeté. Un seul élu s’y oppose, arguant que la commune devrait garder l’intégralité de son patrimoine. Mais Yerres, qui ne connaît pas encore l’explosion démographique des années 1960, a déjà commencé ses projets de modernisation et la construction de nouvelles écoles. Le 19 octobre 1948, André Morel, géomètre expert, s’est donc
"transporté" à l’école maternelle afin d’en faire l’estimation (
annexe IX). Le 22 mars 1949, la commune signe un arrêté l’autorisant à vendre le bâtiment, dont la mise à prix est de 250 000 francs (environ 7 500 euros) (
annexe X).
Déclarations et témoignages contradictoires
En décembre 1950, la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage écrit au maire pour la régularisation du compteur d’eau de l’école enfantine. Le maire répond que l’école est vide de tout occupant, qu’aucune consommation d’eau ne peut y être faite, qu’elle a été mise en vente. Pourtant, divers témoignages rapportent que cette école
"fonctionne" dans les années 1950 : la mère d’un correspondant, née en 1951, se souvient qu’elle y a fait ses premières classes. A-t-on pu laisser faire l’accueil d’enfants dans des locaux vétustes et insalubres ? On croit tenir la fin de l’histoire ; au cours des années 1960, l’aliénation de l’ancienne école (10 W 20/21) fait l’objet d’une nouvelle évaluation. Les frères Morel, géomètres, en dressent le plan en 1962 (
annexe XI). Une affiche est établie pour une vente par adjudication (
annexe XII). La mise à prix est de 10 000 NF, correspondant à environ 16 400 euros (le nouveau franc est né avec la
5e République en 1958). La somme a plus que doublé entre 1948 et 1962. Entre temps, le préfet signe le 23 mars 1960 un arrêté autorisant le maire à faire démolir ces immeubles vétustes, menaçant de s’effondrer.
En 1964, les bâtiments de l’Asile ne sont toujours pas démolis, comme en atteste un échange de correspondance entre le nouveau propriétaire, M. de Santis et le maire. Le 15 avril 1964, « devant le danger que présente etc. », le maire le menace de faire démolir à ses frais. Le 17 avril 1964, M. de Santis répond qu’il a fait établir des devis, et déposé une demande de permis de construire, et souhaite que soit trouvé un accord…
On ne connaît pas la suite, mais l’ancienne école a dû être démolie puisqu’il y a un courrier d’intention de déclaration d’utilité publique (DUP) adressé le 15 décembre 1965 à M de Santis, la commune ayant l’intention de tracer une voie d’accès vers le cimetière qui prolongerait la rue Cambrelang ; mais le maire y renonce finalement par son courrier du 10 février 1966. Ces revirements ne sont pas rares dans la gestion de toute affaire communale. De ces différentes étapes, on conclut que la démolition de l’ancienne école a dû avoir lieu entre la fin de 1964 et 1965. On observe que la commune, dès 1961, avait formé le projet de faire construire l’école maternelle Beauregard dans la propriété du même nom, qu’elle venait d’acquérir pour y installer le nouvel hôtel-de-ville. Deux classes provisoires avaient d’abord été installées dans un bâtiment préfabriqué. Une nouvelle ère du développement et de la modernisation des établissements scolaires à Yerres commençait alors. Son histoire reste à écrire.
Conclusion
Aujourd’hui, la parcelle est vide de tout bâtiment, un pan de mur à peine visible sous un entrelacs végétal, reste la "pièce à conviction" d’un passé bien révolu. Après diverses ventes à la fin du XXe siècle, la propriété appartient à une société d’aménagement depuis nombre d’années. Il semble que la surface assez petite et la faible largeur de façade de la parcelle soient des éléments dissuasifs pour toute nouvelle construction.
L’Asile Sainte-Catherine n’est qu’un petit jalon de l’histoire de l’instruction. Durant tout le
XXe siècle, Yerres a développé ses structures d’enseignement public et privé, des maternelles aux collèges et au lycée professionnel, incluant l’expérience unique du Centre Éducatif et Culturel (
CEC), même si des structures privées sont restées actives (école
Beth Rivkah à Yerres, école
St-Pierre à Brunoy). L’histoire de la vie scolaire, qui sous-tend et enrichit l’histoire de France, devrait sans doute encourager les chercheurs à en revisiter et publier les spécificités locales.
L’écriture de cet article a été l’occasion de mesurer - une fois de plus - les difficultés liées à diverses lacunes, en premier lieu celles des Archives, aucune photo de l’Asile Sainte-Catherine n’ayant pour l’heure été trouvée, pas plus que le dossier de sa démolition, peut-être éliminé ou égaré. Les témoignages sont rares et incomplets, et si l’on ajoute les revirements du conseil municipal, on prend conscience de l’insuffisance de notre démarche. Au moins avons-nous tenté de présenter les jalons les plus fiables pour évoquer l’histoire de cette institution disparue.
Gilles Baumont, mars 2025
Remarque
L’Asile Sainte-Catherine ne doit pas être confondu avec l’
Asile Sainte-Marie, qui fut créé et construit par le curé Ferdinand Edelin. L’abbé Jean Moreau
14 le rapporte ainsi :
« En 1893, il fit construire non loin de l’Asile Sainte-Catherine que dirigeaient des religieuses et que la laïcisation atteint quelques années plus tard, une autre maison qu’il paya de ses deniers et qui fut, à la fois, asile et école, la Maison Sainte-Marie, qui existe toujours, 27, rue René Coty ; cette maison a été faite sur un terrain, en partie donné par Mme la baronne Gourgaud, en partie acheté par le curé aux époux Bertrand… » Pendant très longtemps, cet établissement fut tenu par des congrégations de sœurs, avec des missions notamment médicales. On observe de nouveau l’implication généreuse de la famille Gourgaud du Taillis dans les domaines sociaux et éducatifs.
Notes :
1. L’asile : ce mot est d’abord employé, dans les temps anciens, dans le sens général de refuge ou d’abri. La mise à l’école de la petite enfance, comme forme légitime de la garde, commence véritablement en France avec les salles d’asile, sous la monarchie de Juillet puis sous le Second Empire. En 1881 et 1882, la
3e République s’appuie sur les salles d’asile, établissements congréganistes, catholiques ou protestants, pour organiser l’enseignement de la petite enfance.
Pauline Kergomard (1838-1925), est nommée en 1881, inspectrice générale des écoles maternelles par
Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire et inspirateur des lois de Jules Ferry. C’est elle qui s’opposa aux salles d’asile et à leur discipline rigide et contribua à leur donner une vraie mission éducatrice basée sur l’éveil des enfants, en les libérant de l’emprise religieuse. Pourtant, malgré la laïcisation progressive de l’enseignement, l’appellation
"d’asile" perdura jusqu’au milieu du
XXe siècle pour désigner une école maternelle ou enfantine. Aujourd’hui, le terme d’asile fait encore souvent référence aux établissements qui accueillaient des malades mentaux.
2. La famille du Taillis est issue des anciens propriétaires du domaine de la Grange, les Boscary de Villeplaine, dont les charges d’agents de change les placent très haut dans la hiérarchie sociale. La famille Gourgaud, par le mariage en 1857 de Catherine du Taillis avec
Napoléon-Hélène Gourgaud, vient compléter l’histoire déjà très riche des du Taillis. Ces familles s’impliquèrent notoirement dans l’évolution du village, par le vicomte du Taillis, maire d’Yerres de 1841 à 1858 et par son gendre Napoléon-Hélène (1823-1879), qui lui succéda de 1858 à 1874. Leurs descendants ont gardé le domaine de la Grange jusqu’en 1990. Leur histoire mériterait certainement un ouvrage entier.
3. Le bureau de bienfaisance est l’organisme qui gère la Charité de la paroisse d’Yerres. Un registre de ses délibérations (1 Q 1) couvre la période du 5 mai 1776 au 30 octobre 1886.
5. Le vicariat : bâtiment destiné à l’accueil d’un vicaire, prêtre adjoint d’un curé dans la paroisse. Les informations sur l’histoire ancienne de la paroisse d’Yerres, avant 1800, sont actuellement très limitées.
7. Ou
"congrégationniste", qui serait l’orthographe correcte. Nous gardons le mot
"congréganiste", employé dans tous les documents.
8. Cette appellation était celle de M.
Edme Champion (1764-1852), d’origine bourguignonne, connu pour son action en faveur des pauvres. Ancien joaillier que sa philanthropie avait rendu populaire au temps de Louis-Philippe sous le surnom de
"l’homme au petit manteau bleu".
9. La comtesse du Taillis offrait chaque année des livres reliés (
Annexe XIII).
10. Les documents concernant les affaires scolaires, conservés aux Archives de la commune, sont souvent incomplets ou lacunaires. Nous ne connaissons pas de document ayant trait à la vie dans l’établissement (horaires, cantine, etc.)
12. Textes cités par Dominique Graffeille (voir Bibliographie).
14. L’église Saint-Honest, 1982 - Jean Moreau, (curé d’Yerres de 1967 à sa mort en 1986 ; en pré-retraite en 1980).
Annexes
Devis pour la plaque de marbre, 1875. (1 M 73-80)
Délibération n° 306 du 14 juin 1898. (1 D 7)
« Le Conseil municipal,
« Considérant que l’École maternelle congréganiste qui existait dans la Commune, a été fermée le 28 janvier 1894, par suite du décès de la directrice,
« Considérant que les locaux de l’Asile Ste Catherine, où se tenait cette école, sont inoccupés, et qu’il serait de toute nécessité d’y installer une classe enfantine, réclamée avec insistance par toute la population,
« Considérant que par délibérations du 21 septembre 1895 et 14 janvier 1896, le Conseil municipal d’Yerres a demandé la création d’une classe enfantine dans le local susdit de l’Asile Ste Catherine, appartenant à la Commune, local parfaitement approprié à cet usage,
« Considérant que le Conseil municipal a voté l’achat du matériel de classe qui serait nécessaire et un supplément de traitement de 200 Frs en faveur de l’adjointe chargée de diriger cette classe,
« A l’honneur de rappeler à M. le Préfet que l’autorité supérieure avait bien voulu laisser espérer que cette création aurait lieu prochainement, que par lettre du 21 août 1896, M. l’Inspecteur d’Académie annonçait que ladite création avait été proposée à M. le Ministre par le conseil départemental, et qu’enfin, par lettre du 10 mai 1897, M. le Préfet faisait connaître que la création demandée était comprise dans les propositions qui allaient être adressées au ministère pour l’année 1897. »
« Le Conseil insiste vivement auprès de M. le Préfet et le prie de vouloir bien intervenir auprès de Monsieur le Ministre pour que cette affaire reçoive la solution et attendue depuis longtemps par la population et le conseil municipal. Enfin le 28 juillet 1898, le préfet écrit au maire qu’une délibération du 15 novembre 1895 du Conseil départemental de l’Enseignement primaire est approuvée par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts pour la création de cette classe enfantine… »
Rapport de M. Louis Rieger du 17 mars 1914 (1 M 73-80)
Plan de M. Louis Rieger (nommé architecte communal le 11 mai 1913). (1 M 73-80)
Ce plan, à défaut d'une photographie, montre le profil de l'Asile Sainte-Catherine.
Rapport de M. Paul Lefèvre du 21 octobre 1934 (1 M 73-80)
Délibération du 17 août 1935 (1 M 73-80)
Plan non daté, correspondant à l’installation du chauffage central à l’école maternelle en 1935 - auteur probable, M. Louis Rieger, architecte communal (1 M 73-80). La chaudière et les 6 radiateurs prévus sont nettement marqués sur le plan (voir ci-dessous mémoire des travaux)
Mémoire des travaux (11 décembre 1935)
Estimation des bâtiments de l’école maternelle (André Morel, 1948)
Arrêté du 22 mars 1949 autorisant l’aliénation de l’ancienne école maternelle et mise à prix.
Plan Morel, géomètre non daté - probablement 1962.
Les frères André, géomètre expert de 1943 à 1988 et Robert Morel, topographe, ont exercé 58, avenue du Général Leclerc à Yerres. André Morel avait succédé à Ferret (fils). La Société ATGT avait racheté leur fonds d’archives dans les années 1980.
Affiche de la vente par adjudication, 1962. (10 W 20/21)
Livres offerts par la comtesse du Taillis pour les distributions des prix aux écoles
Bibliographie
- Jacques MACÉ, Le général Gourgaud - 2006 - Nouveau Monde Éditions/Fondation Napoléon.
- Dominique GRAFFEILLE - L’établissement de l’enseignement primaire à Yerres au XIXe siècle - 1983.
Ce document réalisé aux Archives communales d’Yerres apportent beaucoup d’informations sur l’ensemble des écoles yerroises, dans la période étudiée.
Remerciements
André Bourachot - Alain Vatteville (webmaster) - Grégory Côte - Laura Arcaro - Denise Loubet-Prospéro - Guy Bertin - et particulièrement Elisabeth Marotta pour son accueil aux Archives d’Yerres.