Société d’Histoire d’Yerres  


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Le devenir du site des Camaldules après la Révolution
ou
Quand grande et petite histoire se rencontrent

On a vu dans le document précédent [Vie et mort des Camaldules de Grosbois au XVIIIe siècle] que la monarchie, elle-même, avait commencé à se préoccuper de la situation de l’Église et plus particulièrement de celle du clergé régulier. Si elle souhaitait mettre un peu d’ordres dans un amoncellement anarchique d’ordres monastiques, la Révolution, pour sa part, avait plutôt eu en vue la volonté de les supprimer. Comme nous allons le voir, les choses vont évoluer avec le temps.

Que deviennent les ermites de Sénart qui ont remplacé les moines Camaldules dans le monastère de Grosbois et qui sont, ou sont redevenus, rappelons-le, des trappistes ? Nous avons vu que la partie conventuelle a été vendue aux enchères en 1794 sous la forme de vingt-trois lots d’une superficie allant de moins d’un arpent chacun à un peu plus de trois arpents pour certains. Nous ne connaissons pas la date exacte1 du départ des religieux, peut-être dans les années 1792-1794, ni même leur nombre à cette date, mais certains indices laissent penser que quelques-uns ont pu rester à titre laïc, peut-être même en tant que gardien des lieux bien que la totalité des vingt-trois lots ait trouvé preneur, en majorité d’ailleurs auprès de Yerrois. Le site va bientôt revivre grâce à… Napoléon. Précisons que ce que nous allons exposer ci-après doit beaucoup à Léon Déries2 et aux diverses sources d’Archives, nationales, départementales et municipales.

Napoléon Bonaparte devient consul à vie en 1802 et le Premier Empire est proclamé le 18 mai 1804. Il endossera a priori tout l’héritage de la Révolution. C’est ainsi que les lois antireligieuses suivront les conquêtes napoléoniennes et s’appliqueront partout en Europe. Pourtant, la constitution civile du clergé3 de 1790 avait provoqué un schisme en France divisant le clergé en assermentés et en réfractaires. Il s’en était suivi l’expulsion et la déportation de nombreux prêtres et, in fine, l’enlèvement du pape et sa séquestration à Valence où il mourut en 1799.

Cependant, le Premier consul devenu empereur va rapidement se montrer moins idéologue et, surtout, beaucoup plus pragmatique que les révolutionnaires qui l’ont amené au pouvoir. Bien conscient que la Révolution a pour le moins jeté le trouble dans une société française encore très christianisée dans ses profondeurs, il va chercher à renouer des liens avec la papauté par le biais de ce qui avait toujours été la procédure utilisée pour régler les rapports entre Rome et l’État, en l’occurrence le royaume de France : un concordat4. Cela prendra un peu de temps et un nouveau texte sera signé le 15 juillet 1801, texte qui, pourtant, n’abroge pas les dispositions concernant les congrégations qui restent théoriquement supprimées5.

Napoléon et les congrégations religieuses
Dès les années 1800, le nouveau pouvoir va cependant relâcher la bride à ces congrégations, au compte-gouttes d’abord et en privilégiant les ordres surtout féminins, qui travaillent au « soulagement des misères du peuple » disent les textes. Il semble bien que ce mouvement se soit développé au fil du temps de façon plus ou moins confidentielle, le gouvernement impérial se contentant de fermer les yeux et d’en prendre acte sans reconnaissance officielle. Tout cela ne l’empêche pas de maintenir l’exclusion de la plupart d’entre elles, notamment les congrégations chez lesquelles il soupçonnait une activité politique (par exemple les jésuites6). Il en reste pas moins que ces autorisations - qui n’en sont donc pas - sont révocables à tout moment suivant le bon vouloir de l’empereur et de son ministre des Cultes Portalis7. Notons d’ailleurs que le jargon administratif de l’époque utilise le terme d’association8 pour désigner les congrégations. Ce sont des congrégations laïques !

C’est ce qui va se passer pour les trappistes. Napoléon connaît l’ordre et il va mettre à la tête des hospices du Grand-Saint-Bernard ainsi que de ceux du Simplon et du Mont-Cenis, qui vont y être rattachées, un trappiste, dom Gabet supérieur d’une trappe, l’abbaye savoyarde de Tamié9 située près d’Albertville. Il l’a rencontré à Lyon sur le conseil du préfet du Rhône. Ces hospices, là où ils se sont installés, jouent un rôle essentiel pour accueillir et éventuellement porter secours aux voyageurs, voire aux militaires qui passent par les cols des Alpes pour se rendre en Italie10, cols enneigés11 la majorité de l’année. Ces trappistes vont être alors reconnus quasiment d’utilité publique, pourrait-on dire aujourd’hui, par un décret de février 1801.

Une sorte d’accord sera passé entre Napoléon et dom Gabet qui déclarera que l’ordre, dont il devenait le prieur, suivrait la règle de Saint-Benoît. Différence importante avec les préceptes religieux antérieurs, les nouveaux moines ne prononcent pas de vœux, mais signent un simple engagement révocable en permanence chaque année civile et restent soumis à une surveillance policière constante. Ils prêtent, d’ailleurs, un sentiment de fidélité à l’empereur ce qui, nous le verrons, leur vaudra plus tard de nouveaux et graves ennuis.

C’est un peu la mise en œuvre d’un accord qui se joue ici dans lequel chacun espère y trouver son compte. Napoléon ne voit dans l’installation des trappistes qu’une façon d’assurer un service civil et tant pis si pour cela il faut consentir à ce que le catéchisme français de 1793 appelait des « mômeries religieuses » alors que les trappistes y voient surtout une renaissance de leur ordre et, qu’après tout, accueillir les voyageurs égarés dans la neige est bien conforme aux préceptes de l’ordre fondé par Saint-Benoît. Cette convergence des intérêts ne durera pas !

Par ce décret du 21 février 1801, le Premier consul va en effet réorganiser selon un plan d’ensemble les établissements hospitaliers des Alpes. Il s’agissait du Grand-Saint-Bernard, du Simplon et du Mont-Cenis. Les trois hospices formeraient un groupe et seraient soumis à une administration commune. Le Grand-Saint-Bernard serait le chef-lieu et son supérieur le "prévôt", nommé par le chef de la République française, comme il l’était antérieurement par les princes de Savoie, aurait la haute main sur les deux autres maisons. Ce seraient des religieux du Grand-Saint-Bernard qui desserviraient le Simplon et le Mont-Cenis.
Lestrange
Un autre moine trappiste va alors jouer un rôle encore plus important : l’abbé de Lestrange12. C’est d’ailleurs un personnage de roman au fort caractère chez lequel on a un peu de difficultés à distinguer le mondain du moine, moine qui, pourtant, se fera remarquer en renforçant encore la règle déjà très stricte de Saint-Benoît. Nous ne pouvons relater ici que les épisodes qui concernent les trappistes.

Louis-Henri de Lestrange du Bosc pour l’état-civil, dom Augustin en religion, est d’abord ordonné prêtre à Paris en 1778, puis il entre en 1780 à l’abbaye de la Trappe appartenant à l’ordre de Cîteaux, abbaye situé dans le Perche. Il prend alors le nom d’Augustin. Confronté aux menaces de la Révolution, probablement bien renseigné par ses contacts dans le siècle, mais après avoir dû convaincre ses supérieurs du bien-fondé de son analyse, il part avec vingt-quatre moines dans une ancienne Chartreuse à la Valsainte (ou Val-Sainte) en Suisse où il réforme13 son ordre et dont il devient abbé. Il sera alors appelé dom Augustin.


De nombreux religieux et des moniales qu’on appellera alors des trappistines14, le rejoignent, venant des pays, au premier chef la France, d’où ils sont chassés par la tourmente révolutionnaire. Au fur et à mesure de l’avancée des troupes françaises, ils vont être obligés d’entamer un vaste périple à travers l’Europe qui les conduira jusqu’en Russie d’où ils seront finalement expulsés. Dom Augustin créera d’autres établissements tout au long de ses périples et, certains au Royaume-Uni et même aux USA.

En 1802, cette tourmente révolutionnaire s’apaisant, dom Augustin revient à Valsainte et se déplace beaucoup pour visiter les établissements qu’il a créés ; il devient alors un homme qui compte et que le pouvoir ne peut plus ignorer.

C’est probablement cette année-là, peut-être un peu plus tard, qu’il rencontre15 Napoléon à Gênes en Italie. Les deux hommes se sont-ils mutuellement séduits ? Toujours est-il que les trappistes reçoivent l’autorisation de revenir dans certains sites en France, d’abord à l’hospice du Mont-Genèvre (toujours le problème d’assurer la sécurité du passage des Alpes), puis plus tardivement au mont Valérien près de Paris et… à Yerres dans l’ex-monastère des Camaldules qui avait été occupé, comme nous l’avons vu précédemment, par les trappistes (en fait les ex-ermites de Sénart). Autorisation fut donnée par l’empereur que le monastère de La Cervara dans le golfe de Rapallo près de Gênes servirait de séminaire (une sorte de maison-mère) aux trappistes qui devaient s’installer au mont Genèvre.

Si l’autorisation donnée pour le mont Genèvre (col entre la France et l’Italie) est explicable pour les raisons évoquées précédemment (et encore !), celle pour le retour sur le sol national de congrégations supprimées par la Révolution l’est beaucoup moins. Portalis16 laisse entendre que les autorisations n’ont pas fait l’objet de décisions administratives : « Les anciens trappistes ne sont pas positivement approuvés. SM17 de son propre mouvement... » Le préfet de Seine-et-Oise écrit dans une lettre18 datée du 11 juillet 1811 : « …il n’est pas venu à ma connaissance que ni les trappistes des Camaldules ni les dames de Valenton [dont nous reparlerons] aient été autorisés à exister en communautés. » Alors ?

L’empereur semble bien avoir hésité avant de donner son approbation. Ainsi voici ce qu’il déclare19 à l’un de ses ministres :
« …on reconnaît cependant qu’il peut être de quelque utilité de rétablir le couvent de la Trappe, mais on ne croit pas qu’il soit besoin d’en avoir d’autre. Le couvent de Sénart, par exemple, ne doit pas être rétabli. C’est un lieu assez singulièrement choisi pour vivre dans l’oubli du monde qu’une maison située à quatre ou cinq lieues de la capitale. Sa Majesté n’est point allée à Sénart, mais elle est persuadée que si la chasse l’y conduisait, elle serait aussi désagréablement frappée qu’elle l’a été au Calvaire du mont Valérien20. »

Il n’empêche, les trappistes obtiendront bel et bien des autorisations d’ouvrir ou de rouvrir des maisons dans l’Empire (y compris en Belgique, voir ci-après).

La relation des trappistes de Yerres avec l’administration impériale
Comment était perçu le monastère des trappistes à Yerres21 par l’administration de l’Empire ? Tout d’abord, le site abrite aussi des moniales qui sont arrivées, venant de Soisy-sur-Étiolles, en 1804 et c’est le père Desnoyers (que nous retrouverons ci-après) qui présidera à leur installation. C’est très probablement une mesure d’économie qui a prévalu alors au regroupement des deux congrégations. Voici ce que nous en dit Portalis dans le document cité précédemment :
« …Ils sont établis dans un hermitage [sic] formé dans un ci-devant couvent des Camaldules dont il paraît qu’ils imitent la règle. Cette communauté est composée d’individus des deux sexes. Le nombre des hommes est de douze, celui des femmes de trente et un. Le plus jeune des hommes a trente-cinq ans, le plus âgé soixante-six. La plus jeune des femmes a trente-cinq ans et la plus âgée cinquante-sept. Des cloisons, soit pleines, soit à jours empêchent la communication des deux sexes tant dans la maison que dans l’église… L’évêque de Versailles est leur supérieur, son délégué sur les lieux se nomme Desnoyers, il est âgé de trente-cinq ans. Il résulte d’un rapport de Monsieur le préfet de Seine-et-Oise du 20 vendémiaire an XIV (12 octobre 1805) que le maire de la commune d’Yére [sic] et plusieurs habitants notables font l’éloge de cet établissement. »

Il y a donc quarante-sept moines et moniales sur le site des Camaldules à la date de la rédaction du rapport. Portalis est-il bien informé ? Probablement pas aussi bien que le ministre de la Police générale22 qui reçoit un rapport du préfet de Seine-et-Oise en date du 2 décembre 180723. Le préfet décompte à l’époque, qui est, notons-le, sensiblement la même : « 9 religieux, 4 frères convers et deux novices » soit quinze hommes mais quarante-deux femmes ! Les âges ne correspondent d’ailleurs pas avec ceux donnés par Portalis. Le préfet souligne : « Les engagements que l’on y contracte consistent dans l’abstinence, la pauvreté, la soumission absolue, le travail manuel et le silence. Il ajoute : … les femmes accueillent dans leur enceinte de jeunes filles du village auxquelles elles apprennent à lire, à écrire et à travailler… » Bref, à cette date, aucun risque de sédition et de trouble à l’ordre public de nature à inquiéter le soupçonneux ministre. D’autant plus que les trappistes ont certainement un peu camouflé leurs véritables intentions, sinon comment expliquer que le site soit souvent appelé "maison de retraite des Camaldules", dénomination beaucoup plus acceptable par les administrations, y compris par le bon Morel24, tant que l’empereur n’avait pas pris formellement sa décision. Nos trappistes sont un peu des… jésuites !

Nous avons un autre document25, toujours du préfet de Seine-et-Oise qui reprend mot pour mot une lettre du maire26 de Yerres datée du 18 mai 1811 (Fouché n’est plus ministre) envoyée en réponse à une demande du même préfet datée du 4 mai. Il n’affiche pas la même tonalité et commence sa missive par :
« La maison de l’ordre de la Trappe établie en cette commune depuis environ huit ans dans les bâtiments des anciens ermites connus sous le nom de Camaldules mérite l’attention des autorités et du gouvernement… »

C’est un renseignement d’importance car cela nous permet de dater le retour des trappistes à Yerres vers 1803 environ mais, sous l’Empire, « mériter l’attention du gouvernement » ne présage rien de bon :
« Le nombre des moines ou des religieux est d’environ trente. Il s’opère dans cette maison des mutations perpétuelles. Plusieurs ne pouvant supporter un régime aussi contraire à la santé et à la raison y renoncent tout à fait après 4, 6 ou 8 mois d’épreuves où l’épuisement des forces les contraint à quitter la maison. Malgré tous les motifs qui devraient naturellement éloigner de ce genre de vie, le même nombre d’individus se soutient chez eux et il leur vient des prosélytes de toutes les parties de l’Empire …de sorte qu’il se trouve des personnes de tout âge, de tous états et de différentes contrées. »

La suite est descriptive, mais la fin est plus inquiétante ; qu’on en juge :
« Un point essentiel de l’obéissance sans borne des novices envers le supérieur et qui démontre combien son autorité est abusive et dangereuse est que le religieux doit faire ce qui lui est commandé quand même on lui ordonnerait des choses impossibles voire dangereuses. L’autorité supérieure chargée de réprimer tout ce qui s’écarte des principes et des lois… déterminera ce qu’il est convenable de faire pour qu’aucun individu ne puisse… entreprendre quelque chose de contraire au biens et à l’intérêt de l’Empire et de la société. »

Quelques lignes plus haut, il écrivait :
« …le supérieur dans son intérieur exerce des droits désavoués par la loi. Il s’érige en juge, ordonne des punitions et les fait exécuter à son loisir… »

On devine que notre maire est hostile à la présence de ces trappistes et peut-être ce qui lui a été relaté (voir ci-après) par Jeanne Lazarette Jacquet a-t-il motivé son jugement ? L’essentiel des propos de M. Morel est une critique acerbe de la règle observée à Grosbois.

En juin 1811, le maire recevra une lettre du sous-préfet de Corbeil lui signalant qu’il avait ordonné à la gendarmerie « …d’exercer une police active autour du couvent des Camaldules… »

Quoiqu’il en soit, il nous donne dans une annexe la liste nominative des vingt-sept religieux avec leur date de naissance. Ils sont effectivement originaires de toutes les régions de France. Une question ne manque pas d’intriguer le chercheur : où sont logés moines et moniales pendant leur séjour dans les bâtiments des Camaldules ? Nous n’en savons rien, mais il ne semble pas que des bâtiments nouveaux aient été construits, en tout cas aucun document consulté n’évoque cette possibilité. Il est, pourtant certain, que le site a connu beaucoup de transformations.

Certaines sont bien mises en évidence par le plan du cadastre édité pour notre commune en 1810. En fait, les levées pour la publication de ce document ont commencé dans les années 1805 et apparaissent donc les bâtiments qui existaient au tout début du XIXe siècle.

On constate que les cellules ont complétement disparu. On a un peu de mal à reconnaître certains bâtiments dont l’emprise a changé, indice de démolitions ou de reconstructions, voire d’extensions, qu’il est malheureusement impossible de dater. On y trouve indiquée la présence d’un hameau, signe que la vie laïque a repris ses droits après la Révolution. L’église, est toujours là mais le cimetière n’est plus exactement au même endroit ; plus largement, toute la partie nord-est a changé de visage avec des voies nouvelles, probablement là où le hameau s’est installé et a prospéré après la vente aux enchères de 1794. Toute la zone sud-est divisée en parcelles correspondant au moins partiellement à la même vente. La partie que nous avons appelée profane a également été modifiée et l’emprise des bâtiments, quoique reconnaissable, n’est plus tout à fait identique. On a représenté ci-après les deux plans, de 1760 et de 1810.
Plan
circa 1760
circa-1760
Cadastre
napoléonien,
1810
cadastre-1810
Les allées et venues de dom Augustin à Yerres
On ne circule pas librement dans l’Empire à cette époque et la délivrance d’un passeport est un moyen de contrôle des populations dans les 130 départements qui composent cette plus grande France. Les maires, qui ont déjà un pouvoir de police, jouent un rôle important et ils peuvent délivrer le précieux sésame, avec certaines restrictions cependant pour être valable. Les Archives de notre commune contiennent une bonne dizaine de ces passeports et nous verrons pourquoi un peu plus loin. Certains textes semblent montrer que le maire d’alors exerçait ces pouvoirs de police avec beaucoup de vigilance ; il est vrai qu’il était lui-même étroitement surveillé.

Nous possédons un passeport intéressant ; celui délivré le 26 mars 1810 à « monsieur François Augustin abbé général des révérends pères trappistes » par le maire de la commune de Collonges-au-Mont-d’Or, département du Rhône, et déclaré vivant au Mont Genèvre par Briançon. Le passeport est délivré à l’intéressé pour se rendre à « Westmal [sic] département des deux Nettres27 [sic] ». Il est donc passé par Yerres pour se rendre en Belgique et, peut-être, s’est-il arrêté et a séjourné aux Camaldules, ce qui expliquerait la présence de son passeport dans les Archives. Nous verrons qu’un autre motif explique mieux la présence de ce passeport à Yerres. Nous ne savons pas, non plus, si le passeport était permanent ou s’il devait être renouvelé pour chaque déplacement, voire valable pour une durée limitée, ce qui est le plus probable mais n’est pas indiqué sur le document.

Dom Augustin est-il donc venu souvent à Yerres ? Nous ne connaissons son passage que par la présence de son passeport. Cependant, il avait reçu le 1er janvier 180828 des mains de Louis Charrier de la Roche, premier aumônier de l’empereur (mais aussi baron de l’Empire !) évêque de Versailles, dont dépendait Yerres, tout pouvoir sur la communauté des Camaldules pour « la gouverner tant au spirituel qu’au temporel. » Il est certain qu’à partir de cette date il y a séjourné plus ou moins souvent, plus ou moins longuement, comme nous le verrons ci-après, pour assurer le fonctionnement du monastère.
passeport-dom_Augustin

Les "dames de Valenton"
Nous avons vu évoquées précédemment les dames de Valenton par le préfet de Seine-et-Oise dans sa lettre du 11 juillet 1811. Qu’en est-il réellement et qui sont ces dames ? Tout simplement les fameuses trappistines qui ont quitté les Camaldules. Leur départ des Camaldules a dû se situer en 1808, peut-être à partir du milieu de l’année. Les raisons n’en sont pas connues exactement mais il a dû y avoir, comme souvent, conjonction de causes.

Voici par exemple le rapport du maire de Yerres, toujours Étienne Morel, daté du 22 avril 1808 et évoqué précédemment. Il a, semble-t-il, recueilli le témoignage d’une de ces trappistines dénommée Jeanne Lazarette Jacquet qui lui déclare qu’elle « demeurait depuis quinze mois dans la maison de Mr Des Noyers sise au cy-devant [sic] Camaldules que s’étant retiré dans ce lieu de piété avec le désir de faire partie de la réunion, elle n’a pu persister dans cette intention par la sévérité des lois que le nouveau chef de cette réunion lui impose. » Voilà une moniale n’ayant pas encore prononcé ses vœux qui ne supporte pas les nouvelles règles imposées par un nouveau chef.

Qui est ce nouveau chef ? On trouve la réponse un peu plus loin dans laquelle elle déclare : « qu’elle y vivait en paix jusqu’à l’arrivée de M. de Lestang [sic] au point que depuis sa venue elle vivait un enfer. » Dans les années 1808-1809, dom Augustin a bien sévi aux Camaldules sans nécessairement y avoir résidé après avoir remplacé le Père Desnoyers (dont nous allons reparler) par le Père Thomas-Alexandre Bodé qui semble avoir été beaucoup mieux accepté, au moins dans le domaine de l’observance de la règle.

Autre raison que l’on trouve sous la plume29 du sous-préfet de Corbeil le 12 janvier 1809 dans une lettre adressée à son préfet à Versailles :
« Le couvent des Camaldules devenant trop petit pour contenir les religieux et religieuses qui y sont réunis, cet établissement a acheté une maison à Valenton où les religieuses seulement des Camaldules doivent venir s’établir mais cette maison n’étant point encore préparée pour les recevoir et ne devant l’être qu’au printemps, elle n’est habitée en ce moment que par quelques frères travailleurs qui s’occupent des réparations. »

Et, tout naturellement, d’ajouter que le maire de Valenton lui fera part des « progrès de l’installation ». Certains propos dans les correspondances, qui nous sont parvenues, autorisent à penser que "l’autorité ecclésiastique", l’évêque de Versailles30, aurait été également à l’origine de cette sorte de scission probablement voulue, tout au moins approuvée, par dom Augustin. La proximité hommes-femmes a dû éveiller des réticences.

En 1809, le 9 juin, nouvelle lettre du sous-préfet, toujours à son préfet, pour lui demander des consignes après l’arrivée à Valenton de vingt-trois religieuses venant des Camaldules et cinq pensionnaires. Le sous-préfet rapporte les propos du maire de Valenton (lettre du 4 juin 1809) qui lui signale que les religieuses souhaitent créer un cimetière dans leur jardin alors que la création de tels établissements est strictement encadrée par la loi. Il demande si cela doit être toléré ajoutant que, pire, n’ayant pas accès à la maison, il ne saura même pas quand il y aura un décès et, donc, des enterrements.

Figure au dossier cette lettre du maire de Valenton (probablement M. Boullenois) de laquelle nous extrayons d’abord ce qui suit, confirmant la présence périodique de dom Augustin à Yerres : « …elles prennent des élèves pensionnaires et elles en ont en ce moment trois. Le supérieur ou l’abbé de cet ordre, qui est l’ordre de la Trappe, s’appelle de Lestrange. Il n’est pas résident mais y vient de temps à autre... » Finalement il semble bien que l’autorisation d’établir un cimetière sera accordée après un échange de correspondances entre les trappistines qui ont plaidé leur cause et le ministre de l’Intérieur. Il ne nous a pas été possible d’identifier l’emplacement de cette maison. De toute façon, les trappistines vont subir le même sort que leurs homologues masculins et il est fort probable qu’elles n’ont pas eu l’occasion d’inhumer une de leurs consœurs !

Les choses vont se gâter et les trappistes de tout l’Empire vont devoir fermer leurs maisons et certains se verront traduits en justice, quelquefois devant des conseils de guerre. Que s’est-il passé ?

La chute des trappistes des Camaldules
L’accord sur l’autorisation de présence des trappistes dans l’Empire reposait, nous l’avons vu, sur l’intérêt bien compris des deux parties. Deux divergences de fond vont y mettre fin en 1811.

L’empereur, qui guerroie en Europe sans interruption, a besoin d’hommes pour mener ses campagnes et lève des troupes de plus en plus souvent et en nombre de plus en plus important. Depuis 1808 et l’intervention en Espagne, Napoléon demandera trois conscriptions en moins d’un an. La conscription devient alors un repoussoir31 et le nombre de déserteurs et d’insoumis (autour de 10 %) augmente, plus dans certaines régions par exemple le Sud-Ouest, que dans d’autres. Ces déserteurs et insoumis se cachent pour éviter la gendarmerie impériale, de là des flux de populations plus ou moins errantes qu’il faut contrôler, et la surveillance particulière des monastères qui sont des lieux d’accueil par destination. Pire, le supérieur des couvents doit négocier avec le pouvoir l’exemption32 de service militaire des novices, ce que fait de Lestrange en personne directement avec les ministres et, notamment, Portalis. Les rapports s’envenimant, périodiquement, les maires33 reçoivent des mises en garde qui sont presque des menaces ; ainsi voici ce qu’écrit le préfet de Seine-et-Oise, Laumond, aux maires du département le 10 novembre 1808 :
« Son Excellence ministre de la Police générale est informé que des déserteurs … traversent impunément la France et trouvent asile et secours dans les communes… cette infraction aux lois doit être réprimée par tous les moyens qui sont en votre pouvoir… Je n’ignore pas que la plupart d’entre vous34 remplissent avez zèle et exactitude cette obligation… Telle est, Messieurs, la marche que vous avez à suivre et qui vous a été tant de fois tracée… »

Second problème qui va apparaître au grand jour, le serment de fidélité. Pour l’empereur ce ne sont pas des paroles en l’air ! La querelle (et un peu plus qu’une simple querelle) avec le pape (Pie VII) va révéler un conflit qui restera latent jusqu’au retour des Bourbons. Les États pontificaux, sur lesquels le pontife35 est souverain, sont annexés à l’Empire le 17 mai 1809. Le pape ne reconnaîtra jamais ce fait accompli. Il sera enlevé et connaîtra l’exil, tous épisodes qu’il n’est pas possible de développer ici. Dom Augustin36, fidèle au pape, ordonnera alors au prieur et aux religieux de Cervara de "rétracter" leur serment de fidélité à l’empereur.

La réaction impériale37 ne se fera pas trop longuement attendre. Le 28 juillet 1811, un sénatus-consulte38 proclame que « tous les couvents de la Trappe sont supprimés dans notre Empire…Le séquestre sera apposé sur leur meuble et immeuble… ». Et comme dans toutes les administrations du monde, les décisions du sommet sont transmises à la base pour exécution. Chez nous, c’est toujours Étienne Morel, saisi par le sous-préfet, qui va se faire l’exécuteur des hautes œuvres dont celui de… confisquer les passeports, ceux que nous retrouvons aujourd’hui dans nos Archives un peu plus de deux siècles plus tard ! Le 9 août 1811, par une dépêche au ministre des Cultes, le préfet de Seine-et-Oise faisait connaître que le décret du 28 juillet était entièrement exécuté dans son département, ce qui révèle une grande célérité à obéir aux décisions impériales ; les temps modernes n’auraient pas fait mieux ! Le sous-préfet de Corbeil avait opéré la fermeture du monastère des trappistes d’Yerres et des trappistines de Valenton. Les choses semblent s’être passées facilement à Valenton où la maison sera récupérée par sa propriétaire.

Il est intéressant de lire les instructions39 que reçoit notre maire, toujours M. Morel, du sous-préfet de Corbeil le 10 août 1811 :
« …il est nécessaire que vous délivriez à chacune des personnes qui composaient le couvent un passeport pour se rendre dans leurs familles et que vous me fassiez passer un état contenant leurs noms et prénoms avec la juridiction des lieux où elles vont se retirer… et de terminer par ces quelques mots péremptoires je vous invite à vous conformer à cette décision le plutôt possible… »

Notre maire avait déjà obéi et signifié aux trappistes le 5 août 1811 l’injonction impériale d’avoir à quitter les lieux ponctuellement et rapidement. Les religieux obéiront mais contesteront la légalité du séquestre au motif que la propriété était privée. Il dressera la liste des trente-deux religieux présents à la date de suppression et on constate qu’ils sont originaires de toutes les régions de France.

Que met-on sous séquestre40 ? Il va falloir déterminer la nature et l’importance des biens, de là de nombreux inventaires avec parfois l’obligation de briser les scellés, tous exécutés au moins sous la surveillance d’Étienne Morel en compagnie d’agents des Domaines de Boissy-Saint-Léger. Lors de la signification du séquestre aux religieux, M. Morel fait un inventaire rapide et il recense « vingt-huit cellules dans chacune desquelles se trouvent une planche, une paillasse piquée ( ?) et une couverture de laine. » Malheureusement, il ne nous dit pas dans quel bâtiment se trouvent ces cellules. C’est bien la preuve que les trappistes ont un mode de logement plus conforme à ce qui est la norme et que les cellules des Camaldules n’avaient plus aucune raison de subsister.

Nous possédons aussi un « état de consistance et d’évaluation des objets séquestrés » plus tardif puisque daté du 7 décembre 1812. Il montre par exemple que les trappistes louaient alors une bonne vingtaine d’hectares de prés et de vignes sans compter quelques bâtiments dont nous reparlerons. On collationnera à part les objets du culte qui seront remis après quelques péripéties à l’évêque de Versailles et on déposera à la "monnaye" les vases sacrés en argent.

Enfin on mettra en place un gardien du séquestre, Antoine Vautier41 chargé d’empêcher vols et déprédations diverses. Il ne se montrera pas toujours bon gardien puisque différents outils et un essieu de charrettes seront subtilisés par quelqu’un qui portait « des souliers ferrés » et qui avait laissé des traces dans le sol humide. Il tiendra un registre comptable dans lequel il portera avec application en recettes et en dépenses les sommes perçues ou payées pour la conservation du domaine. Ainsi, le 15 août 1811, il notera42 une dépense de 75 sols « pour mene [sic] une vache au torot [sic]. »

Qui possède quoi aux Camaldules de Grosbois ?
Question qui nous ramène à notre point de départ ! Ces trappistes, ces trappistines occupent quel(s) bâtiment(s) et pourquoi celui-là (ceux-là) et pas les autres ? Prévenons le lecteur, il est très difficile de suivre les dévolutions intervenues sur le site à tel point que l’administration impériale, elle-même, semble ne pas toujours avoir su qui était propriétaire de quoi ! Avant d’aborder ce sujet, il nous faut évoquer deux personnages : Louis-Alexandre Desnoyers43 (déjà cité) dont la transcription du nom est souvent mutilée et Joseph-Antoine Froidefond du Chatenet, conseiller au Parlement de Normandie et maître des requêtes au Conseil d’État.

Voyons d’abord le premier. Jean-Baptiste Desnoyers est entré à la Trappe en 1789 et a suivi dom Augustin dans son exil à Valsainte. Il se déplace alors beaucoup en Europe et aussi en Angleterre. Revenu à Valsainte vers 1804, il est appelé par dom Augustin pour s’occuper des religieuses de Soisy-sur Étiolles et c’est lui qui organise leur installation dans le même temps que les trappistes réinvestissent le site des Camaldules et qu’il en devient le prieur. La suite est moins claire ; il semble que dom Jean-Baptiste soit moins bon gestionnaire que bon religieux et que l’accumulation des dettes du monastère44 ait amené l’évêque de Versailles à le remplacer d’une façon un peu cavalière au début de 1808 (voir ci-dessus) par dom Bodé, personnage sur lequel l’historiographie est muette.

Pour ce qui est de la propriété des lieux, un document45 signé le 14 décembre 1812 par l’inspecteur de l’Enregistrement et des Domaines nous donne des précisions intéressantes. Voici ce qu’on peut y lire :
« …après avoir été adjugé par le gouvernement au sieur François Jarre le 16 brumaire an 3 (6 novembre 1794)…le couvent des Camaldules est passé en l’an 12 (1804) aux demoiselles Jarre comme héritières, que les demoiselles Jarre l’ont vendu au sieur Gravet… le 6 germinal an 12 (16 avril 1804), que le sieur Gravet l’ a revendu à la demoiselle Guéau de Réverseaux le 7 floréal an 12 (27 avril 1804), qu’elle a substitué le 25 janvier 1806 en son lieu et place le sieur Desnoyers alors chef de la maison de retraite des Camaldules…et ce dernier a cédé le couvent à quatre personnes46… »

On a ainsi la preuve que l’emprise du "couvent des Camaldules", telle que décrite en 1812, est identique à celle du premier lot de la vente aux enchères de novembre 1794 qui comporte la "maison conventuelle" ! L’acquéreur dans les deux cas est le même : M. Jarre puis ses descendants. Qu’est devenu le reste de la "maison", à la fois les vingt-deux autres lots de l’enceinte proprement conventuelle et la partie profane dont celle louée par le maréchal de Duras ? Nous avons, pour cette dernière, un début de réponse en la personne d’un de ses derniers preneurs à bail, Louis-Joseph-Antoine Froidefond du Chatenet.

Son nom apparaît dans les multiples procédures qui accompagnent ce qu’on pourrait appeler la liquidation des Camaldules. Nous n’en saurions pas beaucoup plus si l’intéressé aux prises avec des difficultés conjugales n’avait plaidé sa cause devant les tribunaux. Nous avons la relation de sa déposition47 devant un tribunal dans laquelle il parle à de nombreuses reprises des Camaldules. Il y a effectivement vécu, dit-il, avec femme et enfants de 1796 à 1803 où il y a mené « la vie la plus douce ». Il donne çà et là quelques aperçus sur son séjour, notamment ses visites au « maire d’Hiéres [sic] » et évoque ses déplacements à Paris « je faisais la route à pied. » Le maire de Yerres, le 7 janvier 1808, M. David (juste avant de céder la place à M. Morel), donne48 au sous-préfet de Corbeil un résumé des transferts de propriété. Voici ce qu’il écrit :
« La propriété dont il s’agit… est une propriété nationale attenant à la maison conventuelle des anciens hermites [sic] dite des Camaldules. Elle avait appartenu au maréchal de Duras, puis au Conseiller Bertin49 et par suite à monsieur Froidefond du Chatenet par bail emphytéotique par concession des religieux de cette maison… cette propriété totalement abandonnée tombe visiblement en ruines. Il ne faut pas la confondre avec la maison conventuelle quoiqu’elle porte le même nom ainsi que toutes les autres petites maisons du même petit hameau... » Quelques jours plus tard, le 17 janvier, le même M. David donne un avis sur l’état de la propriété :
« Depuis très longtemps cette maison et les bâtiments en dépendant se trouvent dans l’état le plus déplorable, les toitures sont partout endommagées, les têtes de cheminée tombées ou écrasées en partie ainsi que toit et charpente qui les soutient, les plafonds sont presque tous écroulés, les planchers et les parquets sont pourris, les eaux pénètrent partout, les portes, volets et croisées sont absolument abîmés, enfin cette maison et les bâtiments menacent d’une ruine totale… »

Ces deux textes permettent de préciser l’emprise de chacune des parties du site, savoir : les ex-bâtiment des hôtes (où ont habité Rakoczy, Tessé, Bertin, etc.) devenus biens nationaux mais dont les baux de location conclus avant la Révolution ont continué à courir et « le bâtiment conventuel et ses dépendances » nous dit un autre texte.

Dernière confirmation, le texte déjà cité intitulé « état de consistance et d’évaluation des objets confisqués » daté de 1812 précise au paragraphe immeuble :
« Une grande maison et toutes les dépendances connues sous le nom des Camaldules de Grosbois située commune d’Yeres [sic] avec cour jardin et clos de bons murs de la contenance de 2 hectares environ (trois arpents 82 perches). »

Or le lot numéro 1 de l’adjudication de 1794, adjugé à Blaise Jarre, est donné pour une superficie de trois arpents 60 perches. Il y a donc concordance à une vingtaine de perches près.

En fait, parler des Camaldules de Grosbois, c’est amalgamer sous une appellation unique des bâtiments50 appartenant à diverses entités, dont la situation domaniale est très différente. On a vu que le site était devenu un petit "hameau" et il est probable que les acquéreurs des vingt-deux autres lots ont construit sur leurs parcelles.

Il n’est pas étonnant que l’administration impériale, puis redevenue royale, exprime tel que nous le constatons au travers des Archives des positions souvent différentes et contradictoires. Ainsi, le 8 décembre 1811, le préfet de Seine-et-Oise, dans une correspondance adressée au directeur des Domaines du département, écrit51 :
« J’ai remarqué, comme vous que rien n’est plus obscur relativement à la propriété du couvent des Camaldules et du terrain qui en dépendent… il importe cependant que vous employez tous les moyens que vous croirez propre à dissiper cette incertitude… »

D’autant plus qu’il semble bien que propriétés conventuelles et propriétés données à bail se soient un peu imbriquées au fil du temps et que Froidefond ait négocié (et obtenu) de Desnoyers un certain nombre de locaux ou de terrains. Il aurait également le 9 frimaire an XIV (30/11/1805) sous-loué la plus grande partie des biens dont il disposait au titre de son bail emphytéotique à un certain Willemin. Le sieur Willemin aurait à son tour sous-sous-loué le 1er janvier 1806 une partie desdits biens aux trappistes, lesquels n’auraient pas… payé les loyers et encore moins après le séquestre du domaine52. Il est difficile d’y voir clair dans l’enchevêtrement des procédures53.

Nous n’évoquerons donc pas ici le nombre et la complexité de ces procédures conduites par les uns et les autres. On y trouve dom Desnoyers acharné à retrouver une propriété dont il semble bien qu’il ne soit pas… propriétaire, tout au moins pas complétement, car plus ou moins associé suivant les époques avec la "demoiselle" Guéau de Réverseaux laquelle semble lui avoir servi de prête-nom, de Joseph-Antoine Froidefond du Chatenet, et enfin, the last but not the least, les administrations qui essayent de trouver un fil d’Ariane dans les revendications des uns et des autres. Ajoutons les plaintes d’artisans, de journaliers (entretien des vignes, des prés54) et de divers créanciers (par exemple le sieur Bazile, marchand de bois à Yerres), dont les prestations sont restées impayées55 pendant des années. Ils viennent encore compliquer le règlement définitif, lequel n’interviendra, semble-t-il, après de nombreux rebondissements que vers… 1830.

On se souvient que Napoléon réorganisa la Comédie française par un décret signé à Moscou le 15 octobre 1812 (lieu et date controversés) ; notre commune d’Hyéres [sic] aura, elle, les honneurs du quartier général de l’empereur à Dresde le 15 mai 1813. Par ce décret, l’empereur annule le séquestre et autorise la vente à Froidefond du Châtenet de « la maison et les dépendances des Camaldules » pour une somme de treize mille francs. Cela va éclaircir la situation et permettre de rembourser certains créanciers mais ne va pas régler tous les litiges pendants.

C’est ici que nous terminerons, peut-être provisoirement, notre relation de la présence des moines camaldules, puis trappistes dans notre ville. L’histoire de ces congrégations chez nous est plus riche que celle du prince de Transylvanie qui n’a vécu à Saint-Jean-Baptiste de Grosbois que deux ans. Elle est pourtant beaucoup moins bien connue alors que, comme nous avons pu le constater, Yerres s’est souvent indirectement trouvée impliquée dans les grands événements de la riche histoire de notre Pays. Ne serait-ce que pour cela, elle méritait d’être racontée.

André Bourachot


Références :
1. Il est avéré par d’autres documents qu’il n’y avait plus de religieux en août 1792.
2. Léon Déries, Les congrégations religieuses au temps de Napoléon, librairie Félix Alcan, Paris, 1929, disponible sur Gallica.
3. Le clergé est alors rémunéré par l’État. À titre indicatif le budget des cultes en 1789 est proche de 17 millions de francs de l’époque.
4. Jusqu’en 1789, les rapports entre l’Église et le Royaume de France avaient été réglés par le Concordat de 1516.
5. Article XI du Concordat.
6. L’ordre des jésuites a été supprimé par la monarchie en 1763. Cela a d’ailleurs été le cas un peu partout en Europe à la même époque, notamment en Autriche.
7. Un des auteurs du Code civil, ministre des Cultes de juillet 1804 à août 1807.
8. Appelée, par les contemporains, de « spiritualité oisive » pour les contemplatives.
9. Toujours connue pour son fromage.
10. On rappelle que la France est en conflit avec l’Autriche et la Papauté depuis 1792 et que le général Bonaparte a acquis sa renommée lors de combats contre l’Autriche en Italie du Nord. Napoléon a passé le col lors de la campagne d’Italie en 1800.
11. Le col du Grand-Saint-Bernard est situé à 2 500 m d’altitude.
12. Vie du vénérable abbé dom Augustin de Lestrange (2e édition) / par un religieux de son ordre. 1834. (disponible sur Gallica).
13. Appelée Réforme de Valsainte.
14. Terme probablement impropre mais entériné par l’usage. On trouve dans les documents officiels l’appellation de « dames religieuses de la Trappe ».
15. Le cardinal Fesch, oncle du futur empereur, a peut-être organisé une autre rencontre à Paris.
16. Archives nationales / F 19 / 6282. Rapport général sur toutes les associations religieuses d’hommes existant actuellement dans l’Empire français du 11 décembre 1807 (à partir de la page 22). Document particulièrement intéressant par ailleurs qui montre une France où les congrégations sont encore nombreuses.
17. Sa Majesté !
18. Archives nationales / F 19 / 474.
19. Léon Déries p. 26. En 1807, il y a cependant autorisé en Seine-et-Oise vingt-deux "associations" de soins aux malades, six pour l’éducation des enfants et deux de "spiritualité oisive", dont celle des trappistes des Camaldules.
20. Les trappistes s’établirent également sur le mont Valérien en banlieue parisienne et l’empereur laissera faire malgré quelques humeurs !
21. Notons qu’il y a dans tous les documents une constante confusion de lieux entre la forêt de Sénart et les Camaldules de Yerres.
22. Le très redouté et redoutable Joseph Fouché, duc d’Otrante, ancien oratorien !
23. Archives nationales F/19/474.
24. Étienne Morel, maire de Yerres de 1808 à 1814.
25. Archives nationales F/19/474.
26. Rappelons que les maires à cette époque sont nommés par le pouvoir et qu’ils le resteront jusqu’à la naissance de la IIIe République. On ne doit donc pas s’attendre à les voir contester l’administration impériale.
27. Aujourd’hui Westmalle en Belgique, monastère fondé par dom Augustin qui produit toujours une bière renommée. Le département des Deux-Nèthes, chef-lieu Anvers est le 93e département de la liste des 130 de l’Empire.
28. Archives municipales 1P-3, 6-11.
29. Archives départementales 6V/8.
30. « …on a jugé qu’il ne convenait pas… » dans une lettre adressée au préfet de S-et-O du 16 juin 1809 (Archives départementales 6V/8).
31. Ce qu’elle n’était pas avec une telle force au début de la Révolution.
32. Dérogation légale pour les apprentis ecclésiastiques.
33. Archives municipales 1P 1-3 6-11.
34. Noter la restriction !
35. Rappelons qu’il avait accepté de venir sacrer l’empereur à Paris (le 2 décembre 1804).
36. Il sera traqué par la police impériale mais, empruntant différents déguisements, il réussira à lui échapper.
37. L’empereur ira jusqu’à vouloir faire fusiller le prieur de Cervara qui échappera de peu au peloton !
38. Archives départementales 6V/8.
39. Archives municipales 1P1-3, 6-11.
40. Intervenu le 7 août 1811, pose de scellés y compris.
41. Il est agriculteur à Yerres et possède vignes et terres aux Camaldules.
42. Archives départementales 6V/8
43. Dont le nom exact semble avoir été Louis-Alexandre Noyer, appelé également en tant que religieux dom Desnoyers.
44. 55 000 livres de dette en quatre ans suivant le sous-préfet de Corbeil.
45. Archives départementales 6V/8.
46. Ces quatre personnes étaient toutes des religieux occupant le monastère lors de sa suppression.
47. Le barreau français, « Mémoire par M. Froidefond du CHATENET, sur la séparation de biens intentée contre lui au nom de la dame Catherine Esther Caquë du Châtenet son épouse », vers 1806 (disponible sur Gallica).
48. Archives départementales 6V/8.
49. On appréciera que ce conseiller Bertin est un de ceux qui ont participé à la disparition des Camaldules et la dévolution de leurs biens aux ermites de Sénart ; bel exemple de "prise illégale d’intérêts" au XVIIIe siècle !
50. Et des terrains que nous n’évoquons pas ici.
51. Archives départementales 6V/8.
52. Sans parler d’un sieur Falconnet qui aurait également été un locataire de Froidefond.
53. Le préfet de Versailles évoquera l’attitude de Desnoyers qui aurait eu pour but « de rendre impénétrables les combinaisons mises en usage dans cette transmission de propriété. » Cela paraît assez pertinent.
54. À noter la mention sur le site de l’existence de prairies artificielles, nouveautés dans les pratiques paysannes au XVIIIe siècle.
55. Notamment toutes les dettes contractées par Desnoyers, par exemple une facture impayée au profit du sieur Arpentinier couvreur à Villeneuve-Saint-Georges et beaucoup d’autres.