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Témoignage émouvant du petit-fils d’un Poilu

Lors de notre exposition organisée en novembre 2018 à l’occasion du 100e anniversaire de l’armistice de 1918, un Yerrois nous a confié trois documents particulièrement intéressants concernant son grand-père, Georges Tirvert, "mort pour la France" le 6 décembre 1914.

Le régiment de Georges est envoyé dans la région de Lille-Arras pour contenir une éventuelle avancée allemande dans cette direction. Son régiment est entre autres utilisé pour creuser des tranchées. L’invasion allemande par la Belgique va mettre ces soldats en première ligne et nombreux sont ceux qui y seront blessés ou y perdront la vie.

Blessé sur le champ de bataille, Georges Tirvert , âgé de 40 ans, est transporté le 24 octobre dans un hôpital auxiliaire allemand installé sur le campus de Fichtenhain au sud de la ville de Krefeld. En temps de paix, ce campus abritait un établissement d’éducation sociale crée en 1904 par l’association provinciale rhénane qui abrita jusqu’à 225 garçons considérés comme "difficiles à éduquer".

Le 11 décembre 1914, M. Becker, directeur de l’hôpital où Georges Tirvert décède, écrit une première lettre à l’épouse de Georges pour lui annoncer les circonstances du décès de son mari :
lettre1_tirvert
Fichtenhein, le 11/12/1914
Madame,
Je regrette de vous annoncer une nouvelle triste. Votre époux est mort. Il a été soigné très bien par les médecins, mais ses blessures étaient trop graves. Il a reçu religieusement les saints sacrements de l’église catholique. Les derniers jours de sa vie il a prié beaucoup et sincèrement. Il m’a demandé de vous écrire. Il vous prie que vous imitiez l’exemple qu’il a donné en mourant, que vous viviez religieusement et que vous éleviez vos enfants bien dans la seule religion.
Nous l’avons enterré ici avec les honneurs militaires.
Agréez, Madame, l’expression de ma sincère condoléance,
Becker, directeur

Le 10 janvier 1915, il écrit une deuxième lettre annonçant le décès de Georges à une "Mademoiselle" qui n’est pas identifiée :
lettre3_tirvert
Fichtenhein, le 10/01/1915
Mademoiselle,
Georges Tirvert est mort le 6 décembre. Il était ici depuis le 24 octobre ; il avait deux blessures : une contusion de la hanche droite et une blessure d’une balle de fusil dans la hanche gauche ; cette blessure était très profonde et grande.
Il a reçu des lettres de son épouse, je crois deux ou trois jours avant son décès une lettre et aussi de l’argent.
Les objets qu’il a laissés sont envoyés à Berlin, ils seront donnés à l’épouse.
Il était toujours très patient, et il espérait toujours, quoiqu’il était très affaibli. Il n’avait pas beaucoup de douleurs, parce qu’il était très bien soigné par une sœur catholique et par deux médecins.
Comme on lui disait qu’il lui faudrait mourir, il se prépara aux saints sacrements. Il priait cordialement et il mourut très tranquillement.
J’espère que ces nouvelles seront une consolation pour la veuve et les enfants.
Agréez, Mademoiselle, mes salutations empressées
Becker, directeur

Le troisième document, émis par le Maire du Petit-Quevilly, précise les conditions dans lesquelles le corps de Georges va être rapatrié pour être inhumé en France :
lettre2_tirvert
Petit-Quevilly, le 21 juin 1923
Le maire de la ville de Petit-Quevilly
Conseiller général

À Madame Veuve Tirvert
Madame,
Des circulaires qui nous sont parvenues nous permettent de penser
Un télégramme officiel reçu ce jour nous informe
que l’arrivée du corps de M. Tirvert Georges
se fera incessamment
aura lieu aujourd’hui et je m’empresse de porter à votre connaissance les mesures prises par notre administration à ce sujet.
Le corps sera transporté dès son arrivé au caveau provisoire du cimetière, vous serez alors prévenue de l’heure de l’inhumation définitive en temps utile pour vous permettre de prévenir vos parents et amis.
La cérémonie est ainsi fixée :
Mise en présence du corps une ½ heure avant l’inhumation.
Convoi de 3ème classe du caveau provisoire à la tombe définitive à la charge de la ville.
Je vous prie d’agréer, Madame, en ces douloureuses circonstances, l’expression de ma considération distinguée.
Le maire …
P.S. : Des renseignements complémentaires pourront vous être donnés au secrétariat de la mairie.

Mais laissons la parole à son petit-fils :
« Il était né en 1874, soldat au 21e régiment d’infanterie territoriale, 12e compagnie, matricule 925 au recrutement de Rouen Nord, en 1894.
« Il était marié et avait quatre enfants, quatre fils.
« Il se trouvait quelque part près du front, dans les toutes premières semaines du conflit, en 1914.
« Il a été blessé par balles lors d’une confrontation entre belligérants. Recueilli par les soldats allemands, il a été envoyé dans un hôpital de réserve en Allemagne, près de Krefeld, où il a été soigné par des médecins allemands.
« Malheureusement, ses blessures étaient trop graves et il est décédé à l’hôpital, le 6 décembre 1914. Il a été inhumé sur place par les autorités allemandes, avant que sa dépouille ne soit rendue à sa famille le 21 juin 1923 pour y être enterré dans sa ville natale.
« Pourquoi je vous raconte cette triste histoire ? Pourquoi ce cas isolé parmi des millions d’autres au moins aussi douloureux mériterait plus votre attention ?
« Parce que M. Becker, le directeur de l’hôpital où il a été soigné, a communiqué par lettres avec la famille de ce soldat, après son décès. J’ai lu ces lettres et j’en ai été bouleversé. Dans sa correspondance, au-delà des horreurs des combats, au-delà des tragédies, cet homme a tout simplement été capable de bienveillance, de compassion et d’empathie envers ceux que d’aucuns auraient qualifiés d’ennemis.
« Il a cherché à réconforter la famille autant que c’était possible, avec des mots simples et fraternels.
« Ces lettres sont pour moi des témoignages de fraternité et d’amour, au milieu de la barbarie de l’époque.
« Ce soldat mort
"à l’ennemi" comme on disait, cet homme s’appelait Georges Tirvert, et c’était tout simplement mon grand-père. »

Voir aussi : Fiche militaire du Poilu Georges Tirvert "mort pour la France"